Pise 1951 by Fernandez

Pise 1951 by Fernandez

Auteur:Fernandez
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Grasset


25.

L’araignée

Je sursautai en entendant mon nom, dont les deux syllabes trapues, la sonorité épaisse, la compacité grasse, la rondeur plébéienne soulignées par la pétarade inattendue du t final, me parurent, dans un tel endroit, déplacées, comme un béret basque aurait détonné sur la tête d’une statue antique.

– Signor Robertt, répéta la comtesse, étonnée de n’avoir pas de réponse. Peut-être avez-vous envie de visiter la maison avec vos amis ? Vanuccia, demande à Renata de te remettre le trousseau de clefs.

Nous rejoignîmes Elio dans la cuisine. Après qu’il avait soigné les abeilles, Renata l’employait à du bricolage. Quand Ivanka lui proposa d’explorer avec nous la villa, il dévissait le siphon sous l’évier. Il se hâta de vider les détritus accumulés par la négligence de Renata et de nettoyer le tuyau d’écoulement. Aucun autre maschio italien de ma connaissance n’aurait accepté une tâche aussi peu ragoûtante. Celui qui énervait Octave par l’éclat de ses dents blanches s’acquitta de cette besogne avec la meilleure grâce possible.

Pendant ce temps, Renata nous versait à boire un vin rouge, des plus épais et roboratifs. Ivanka leva son verre. « A votre santé ! » dit-elle en nous regardant à tour de rôle, sans s’arrêter sur aucun de nous trois en particulier. Renata décrocha du mur un trousseau d’une douzaine de grosses clefs qu’elle confia à la jeune fille. Ainsi réconfortés, nous nous lançâmes, Octave, Elio et moi, sous la conduite d’Ivanka, à la découverte de la villa.

Le salon où se réunissait la famille n’était que le salotto. Elle nous précéda dans le salon d’apparat, salone, trois fois plus haut et quatre fois plus vaste, auquel on accédait jadis par la loggia. Les fresques rongées par l’humidité avaient perdu leurs couleurs. Aux quatre coins du plafond strié de lézardes, des hermès en stuc se penchaient dans le vide, enduits d’une poussière grise, devenue graisseuse avec le temps. Un lustre de Venise pendait par une longue chaîne au-dessus d’une table en marqueterie à laquelle manquait une incrustation sur deux. Des housses recouvraient les fauteuils, les canapés, les bonheurs-du-jour, les crédences, meubles trois fois plus volumineux que chez les Colinet et deux fois plus que chez les Thorel. Les cendriers floraux du comte, éparpillés sur les bras des fauteuils, mettaient la seule note gaie, bien que la fameuse nuance lilas eût passé. Ivanka marchait devant nous, une bougie à la main, car les lampes comme le lustre étaient hors d’usage, et la pleine lune n’entrait que par les fentes des volets.

Au premier étage, sur l’arrière de la maison, elle nous ouvrit, avec la plus grosse des clefs, l’appartement dit « suite ducale », parce que, dans une époque lointaine, Jean de Médicis y avait passé une nuit après la conquête de Pise. Adalberto Tibaldi y avait campé, pendant la guerre et quelque temps après, avec sa femme et ses enfants.

– Nous dormions là, il y a encore trois ans.

– Là ? s’écria Octave, interloqué.

Je partageais sa stupeur. Six belles pièces en enfi lade, mais pas de couloir pour les desservir.



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