Papa est en bas by Sophie Adriansen

Auteur:Sophie Adriansen [ADRIANSEN, Sophie]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Jeunesse
ISBN: 9782092577080
Éditeur: Nathan
Publié: 2018-09-26T22:00:00+00:00

12

Grand luxe

La grille de chez nous est ouverte. Alors que normalement c’est à partir de là que je commence à freiner, j’accélère en appuyant à fond sur les pédales de mon vélo. J’ai un mauvais pressentiment, qui se confirme quand j’arrive devant la maison : une camionnette blanche ornée d’une croix bleue est garée là. Une croix qui me fait penser à ce « t » qu’on trouve quatre fois dans le mot « tartiflette ». Une croix qui me crie en silence des choses qui ne me plaisent pas.

Je déboule dans l’entrée.

– Dis donc, ça fait longtemps qu’on n’a pas mangé de gratin dauphinois… Tu nous ferais pas un bon gratin dauphinois pour ce soir ?

Ouf ! C’est la voix de papa. S’il parle de gratin dauphinois à maman, c’est que rien de grave n’est arrivé.

– Tu t’entêtes avec les plats d’hiver à base de pommes de terre ! constate celle-ci. Et cet hiver, tu me réclameras des salades ? Au revoir, messieurs, et merci.

Je m’écarte pour laisser passer deux hommes costauds en blouse blanche, qui quittent la maison et grimpent dans la camionnette.

J’entre dans le salon. Stupéfaction ! Tous les meubles ont changé de place. Le canapé a bougé de 90 degrés, la table basse a reculé, même le tapis est décalé… Tout a été réorganisé autour de la nouveauté : un immense lit une place, très haut et à roulettes, dans lequel papa est allongé.

– Tu as vu ça ? lance celui-ci en me voyant débarquer. J’ai trouvé le moyen de passer mes journées au lit !

– Qu’est-ce qui t’arrive ? demandé-je.

– C’est un lit médicalisé, explique maman. Comme ça, papa n’aura plus besoin de monter à l’étage.

– Mais alors la plate-forme… ta CGV… ?

– Mon dos s’affaisse, dit papa. Dans mon fauteuil, je glisse. Alors que là…

Avec le doigt, il appuie sur les boutons de la commande qu’il a à la main. Dans un bruit discret, le dossier de son lit se baisse puis se redresse. Papa fait la même chose avec le pied du lit, jusqu’à avoir les genoux plus hauts que la tête.

– Tu vois ? Là, je fais comme je veux.

– Bon, je vais préparer le dîner, annonce maman. Si j’ai bien compris, je suis de corvée de patates.

Restée seule avec papa, j’observe son nouvel équipement. C’est un lit d’hôpital, en fait. Il me rappelle celui dans lequel était ma cousine Julia après son accouchement.

– Mais tu vas vraiment rester allongé toute la journée ?

Du menton, papa désigne le guéridon à côté de son lit. Il a été placé façon table de chevet. Dessus s’empilent des livres, des magazines, des mots fléchés, la tablette de papa et la télécommande de la télé. Le cadre dans lequel on avait mis l’article de journal avec la photo prise après sa victoire au Jeu des 10 000 a disparu.

– J’ai de quoi m’occuper !

– Et pour les repas ?

– Un plateau, comme dans les hôtels cinq étoiles ! On appelle ça le « room service »… Grand luxe !

– Et pour ta douche ?

– Jeanne-Madeleine va continuer ses visites.

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