Obsolète by Sophie Loubière

Obsolète by Sophie Loubière

Auteur:Sophie Loubière [Loubière, Sophie]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Policier
Éditeur: Belfond
Publié: 2024-01-19T07:35:59+00:00


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* *

Vers midi, huit wagons déversèrent sur le quai quatre cents Retirées, parées pour le tri. Depuis le marchepied, Odette bâilla en rajustant sa robe.

— Qu’est-ce que c’est que ce binz ? Elle est où, la plage ?

— Au-dessus de notre tête, je suppose, répondit Hasna.

Les hôtesses les saluèrent chaleureusement d’un geste de la main, puis le train s’ébranla et poursuivit sa route.

La gare terminus ne ressemblait à aucune autre. Végétalisée du sol au plafond, elle abritait une jungle tiède et humide, baignée d’un éclairage bleuté où se diffusait le chant apaisant des criquets. Le petit groupe de Rachel s’arrangea pour ne pas être séparé et suivit la colonne de femmes qui marchait sur le quai tapissé d’une moquette en fibre de coco. La Retirée qui avait tenté de s’enfuir se trouvait devant lorsqu’elle trébucha et s’affala sur le sol avec sa valise. Aussitôt, Rachel lui vint en aide. La prenant par le coude, elle remarqua des cicatrices autour de son poignet, localisées au niveau du BMH dont le cadran était rayé à plusieurs endroits. Combien de fois cette malheureuse avait-elle tenté de le briser ou de l’arracher ? Vibrant de la même pensée, leurs regards se croisèrent. Au même instant, sa peau fine et claire se couvrit de petites plaques rouges au niveau du cou. Les traits de son visage étaient creusés, ses lèvres sèches et ses cheveux ternis. La pauvre femme baissa les yeux en tirant sur sa manche pour cacher son bras. Rachel lui tendit sa valise.

— Merci.

Elle reprit sa marche. Le tissu fragile de sa toilette en satin jaune s’était déchiré par endroits et laissait apparaître le fond de robe. À la voir si pathétique, Rachel songea à sa mère, vêtue d’une toilette de la même couleur, au dernier instant de sa vie.

Bientôt, une cascade descendant à pic d’un rocher artificiel remplit leurs oreilles du fracas de ses eaux. Elle occupait la partie centrale du hall de gare et rafraîchissait l’air de toute sa hauteur. À sa droite, des flèches lumineuses désignaient trois tapis roulants mécaniques.

— C’est dingue, marmonna Hasna. Je ne vois personne pour nous accueillir.

Joy opina du menton.

— Ils ont peur qu’on les contamine avec nos germes, commenta Odette. On pourrait très bien aller où on veut, en fait.

— Parce que tu vois une autre direction à prendre ?

Odette regarda autour d’elle, puis, comme on bat en retraite, haussa les épaules.

Les tapis roulants s’enfonçaient chacun dans un tunnel. Rachel et ses amies s’engagèrent sur celui du milieu. Les marches métalliques, jointes et continues, offraient une surface plane plus confortable qu’un escalator. La lente ascension commença. Des visages levés dans la même direction, tendus à l’excès. À l’intérieur du boyau de béton, une lumière cafardeuse. On percevait à peine les vibrations émises par le mécanisme du tapis. Dans un tel silence, le battement des cœurs devenait assourdissant. Rachel remarqua de minuscules initiales tracées à la hâte sur les murs. Des Retirées laissaient là une marque de leur passage. Une main frôla la sienne – Hasna cherchait ses doigts.



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