Obsessions by BIER Christophe

Auteur:BIER Christophe
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: le dilettante
Publié: 2017-03-15T00:00:00+00:00

Anatomie(s) & Pathologies. Les collections morphologiques de la Faculté de Médecine de Strasbourg, de Jean-Marie Le Minor, Franck Billmann, Henri Sick, Jean-Marie Vetter et Bertrand Ludes. I.D. l’Édition, Bernardswiller, 2009.

Émission du 4 septembre 2010.

67. Éloge des seconds rôles

Dans un essai paru chez Klincksieck, Serge Regourd s’attache à déterminer les raisons de la grandeur et de la décadence des seconds rôles du cinéma français, force vive des années 1930 à 1950, quand la marge était au centre. À côté de grandioses excentriques grouillaient toutes sortes de représentations sociales, de l’ouvrier gouailleur du bistrot jusqu’au maître d’hôtel compassé, de Marcel Pérès à Bernard Musson. Le cinéma se nourrissait de troisièmes couteaux qui s’imposaient, parfois le temps d’une simple scène.

Les préoccupations de la Nouvelle Vague marquent une rupture avec ces classes populaires. Des choix esthétiques récusant la narration classique et la grande place faite aux dialogues qui nécessitaient ces acteurs de composition précipitent le divorce. Regourd devient accusateur, dénonçant un front de répudiation des seconds rôles, analysant l’évolution du cinéma national à travers le progressif effacement de ces figures familières. Constat implacable, qui se clôt par un cinéma contemporain terrifiant sacrifié au totem de l’acteur bankable. Tout se resserre autour de ce barbarisme, symbole d’une bourgeoisie urbaine et d’un culte du jeunisme. Le prolétariat est mort. Quitter la Sociale, écrit Regourd, pour rejoindre les quartiers chics, c’est quitter le bistrot pour s’enfermer dans un salon bourgeois. Et, dans ce salon, se donne à voir la défaite du nombre : déperdition de personnages, disparition des seconds rôles.

Ce livre est un cri d’alarme. Pourtant, son analyse par décennies montre des résurgences possibles. Les années 1970 marquèrent une authentique recomposition de cette tradition. Retour du social, permanence du polar et du film politique. Les notables repus ont les traits de Michael Lonsdale et la souffrance ouvrière ceux de Jacques Rispal. Peut-on un instant imaginer le casting d’un remake de Dupont Lajoie de Boisset ? Jean Carmet se muant en Berléand ? Kad Merad à la place de Peyrelon ? Timsit en Robert Castel ? Depardieu en Pierre Tornade ? Collerait-on la moustache de Marielle à Dujardin ? Isabelle Huppert succéderait-elle à Ginette Garcin et Ingrid Bourgoin jouerait-elle le rôle qu’Huppert avait tenu elle-même, jeune débutante ? Et pour l’inspecteur Boulard, impressionnant Jean Bouise, prendrait-on Jean Reno ? Ou Franck Dubosc ?

Allons, Cinéma français, réveille-toi ! Débarrasse-toi des directeurs de castings, des fils et filles de, des animateurs TV promus stars, tourne le dos à la ploutocratie des César, cette grande famille d’argentiers. Écoute le hurlement salutaire de Regourd, trop poli pour commettre un pamphlet mais assez lucide pour mettre à vif les métastases du cinéma français.

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