Oasis interdites by Maillart Ella

Auteur:Maillart, Ella [Maillart, Ella]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature suisse, Carnet de voyage
Éditeur: Payot
Publié: 1937-02-14T23:00:00+00:00

Slalom

Nous sommes au bord du Toruksal où il n’y a pas plus de laveurs d’or que de poste militaire : dans ce lieu désert, entre de noires montagnes, règne un calme absolu. Seule l’eau claire clapote contre la berge où poussent quelques brins d’herbe nouvelle. La pouliche les tond diligemment, mais Slalom, panard, accablé de fatigue, est inerte, tête basse, l’os des hanches pointant vers le ciel, les côtes saillantes… Seule, son oreille a la force de se tourner vers moi lorsque je lui parle.

J’avais cru qu’un peu de repos le remettrait mais il ne mange pas, et je crains le pire. Est-ce l’eau de l’Ayagkum Koul qui l’a rendu malade, ou le marécage d’Issyk Pakté lui a-t-il donné des vers ? Je devrais sans doute lui accorder plusieurs jours de repos, et le soigner à l’huile de ricin. Ce qui le sauverait, je le sais bien : c’est une brassée de foin de l’alpe d’Evolène, foin là-bas mûr aujourd’hui et parfumé, plein de fleurs sèches où éclate l’incarnat de l’œillet sauvage… Mais demain, il faut repartir : nos provisions touchent à leur fin.

Je vais du moins essayer de ne pas perdre les deux chameaux qui nous restent. Le « Second » rumine solidement, mais la Perle est accroupie, comme dégoûtée de ce monde ; elle dégage une forte odeur de pourriture. Soulevant le feutre qui couvre son dos, sans bât pour la première fois depuis longtemps, je découvre une plaie purulente entre ses deux bosses. La Perle ne me fait plus peur : il faut la soigner. Tandis qu’elle gémit, maintenue par Tokht’Ahoun, je la panse et lui fixe sur le dos un matelas de feutre évidé au milieu.

Au camp, Peter ne quitte pas la tente : son ophtalmie le fait souffrir à nouveau et il baigne son œil. Nous parlons des impressions de la veille, du jour le plus fatigant de notre voyage. Mais n’ai-je pas été parfois tout aussi épuisée après de longues traversées à ski, le dos scié par un lourd sac, arrivant à bout au milieu du brouillard à la cabane ? Il me reste d’hier ce sentiment merveilleux d’avoir donné toutes mes forces, et d’avoir utilement poussé Slalom jusqu’au bord de l’eau. Si demain mon cheval ne veut pas marcher, nous pourrons le laisser ici où, s’il guérit, Assa Khan retrouvera sa trace dans quinze jours lorsqu’il reviendra de Tokuz Dawan.

Poires sèches bien trempées, tsamba, viande crue et sucre composent le petit déjeuner que je sers le lendemain à Slalom. La douce bête mange ce mélange avec visiblement plus de plaisir que le couvercle en fer blanc de notre dernière boîte de marmelade dont elle s’était emparée. Je suis la dernière à seller, heureuse de partir une fois de plus sur son dos. Devant moi, peureux comme à leur habitude, les chameaux ne veulent pas traverser le Toruksal, et la pouliche se refuse à entrer la première dans l’eau rapide. Prenant en main la cordelette du nez de la Perle, grâce à Slalom, j’entraîne notre caravane.

Mais sur l’autre rive,

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