Mur Méditerranée by Louis-Philippe Dalembert

Auteur:Louis-Philippe Dalembert [Dalembert, Louis-Philippe]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782848053516
Éditeur: Sabine Wespieser éditeur
Publié: 2020-02-11T07:50:42+00:00

À BORD DU CHALUTIER

Et la mer à la ronde roule son bruit de crânes sur les grèves,

Et que toutes choses au monde lui soient vaines, c’est ce qu’un soir,

au bord du monde, nous contèrent

Les milices du vent dans les sables d’exil…

SAINT-JOHN PERSE

NAUSÉES

ACCAPARÉS PAR LEURS PROPRES SOUCIS, les calais ignoraient tout, ou presque, des démêlés de ceux du dessus avec les éléments survoltés. Comment imaginer un instant que les « privilégiés » du pont puissent en baver autant sinon plus ? Les giclées d’eau de mer qui s’engouffraient en quantité par la trappe restée ouverte, selon l’orientation des rafales ou l’inclinaison du bateau, leur laissaient peu de temps pour penser à la situation de mieux lotis qu’eux. Les hurlements des vents se bousculaient à l’entrée de l’écoutille, pareils à un troupeau de chameaux obligés de passer en même temps par le chas d’une aiguille, au point de s’y retrouver encastrés, sans pouvoir ni progresser ni reculer. Contraints d’avancer, les suivants poussaient de toute leur force, qu’amplifiait la bousculade virulente de ceux encore plus loin derrière. Au bout de plusieurs minutes de lutte acharnée, les premiers étaient catapultés vers l’avant, dégageant le passage aux autres qui, libérés, y pénétraient avec jubilation. Et ça générait des bruits impressionnants, tour à tour fluides, continus et hachés. Des bruits dont l’incapacité de savoir ce qui se passait là-haut exagérait l’ampleur. L’imagination de chacun achevait alors le travail de sape.

Aux fureurs des vents, il fallait ajouter les assauts continus des vagues contre la carcasse du navire. Du coin où elle avait trouvé refuge, Semhar ressentait chaque choc dans son dos. Elle s’imaginait des béliers s’acharnant contre les portes d’une de ces villes d’autrefois, propulsés par des ennemis furieux et déterminés. Les vagues heurtaient à mi-flanc le chalutier dont la charpente, à tant prendre des coups à chaque offensive, menaçait de céder. Pour Semhar, ça ne faisait aucun doute : à un moment ou à un autre, la coque exploserait. La question était de savoir quand. Afin de retarder l’éventualité, voire l’empêcher d’advenir, elle priait de toute son âme, une main broyant le pendentif crucifix, l’autre agrippée à quelque chose : la jambe de Chochana, un bras inconnu, une poutrelle…

Parfois, les vagues se retiraient, en signe de trève, de courte durée, hélas. Pas même le temps de les oublier, ni de ressentir un quelconque soulagement. En fait, elles partaient recharger leurs batteries au loin avant de revenir, avec plus de hargne, cogner encore et encore contre la coque. Elles cognaient telles des possédées. Cognaient sans reprendre souffle. Et ça faisait un boucan qui déchirait les tympans, saisissait les corps d’anxiété, catapultait les cœurs à la gorge. Les estomacs déversaient leur bile. Les intestins se lâchaient. Les cris de frayeur se multipliaient. La fin se rapprochait. Elle arriverait avec la prochaine vague. À la prochaine houle. Dans les traits d’Abaddon l’Ange exterminateur exécutant son office de mort. Implacable. Sans préjugé aucun. Même ceux du dessus y passeraient. Telles étaient les pensées des calais apeurés.

La répartition anarchique avait placé

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