Mon grain de sable by Luciano Bolis

Mon grain de sable by Luciano Bolis

Auteur:Luciano Bolis [Bolis, Luciano]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 1997-08-03T00:00:00+00:00


V.

Il faisait nuit.

— Chante donc, pauvre con ! m’avait dit, avec un bel accent de sincérité, le planton en me laissant. Moi aussi j’étais avec les rebelles, autrefois, ensuite les autres m’ont pincé, et ils ont commencé à me traiter comme toi. Mais moi j’ai tout dit, et maintenant ils m’ont pris avec eux. Je suis peinard. Si tu parles, toi aussi tu pourras venir avec eux.

Dégoût, pitié, horreur : je ne puis dire ce que j’éprouvais !

Tout à coup il me vient une idée : « Et si j’essayais de libérer mes mains de leurs liens ? »

Le geste fut plus fulgurant que l’idée. Une violente secousse et la main gauche était libre (en vieux conspirateur que j’étais, j’avais disposé mes mains de façon à laisser un certain mou). Maintenant, au tour de la droite : je secoue, je tire, je tourne, je secoue encore, enfin je tire de toutes mes forces, au risque de me briser l’os. Rien.

Sueurs froides ! Renoncer, après avoir presque atteint le but ? Faire marche arrière, vers cette vie, vers ce sinistre lendemain qui m’attendait, quand mon esprit avait déjà entrevu l’au-delà et que la résistance de la chair avait été vaincue ?

À quoi cela avait-il servi que les impératifs de ma conscience aient triomphé de mon corps ? Et j’étais toujours là, pauvre loque à la merci des despotes, qui le lendemain me reprendraient, jouet de leur oisiveté, objet de leurs sévices.

Je me vis pendant quinze jours pendu en l’air, fouetté, brûlé. Et je savais très bien ce qui m’attendait si je ne parlais pas : les bains de poix brûlante, les chambres réfrigérantes, le casque de fer, les décharges électriques ; bref, tout ce que je n’avais pas encore subi.

Une peur panique s’empara de moi : et si je ne résistais pas à tout cela ? Je voyais déjà mes compagnons à leur tour traqués, torturés comme moi, et une interminable série d’arrestations, outre l’insurrection que nous projetions depuis si longtemps peut-être reportée, peut-être même définitivement compromise.

En attendant, la lame de rasoir était là, dans la couture de mon pantalon, à quelques centimètres, attendant seulement d’être prise et me criant que mon salut à moi et celui de tous les autres dépendaient uniquement d’elle.

Et si le planton, en entrant pour les habituels contrôles, me trouvait avec une main libre ? Peut-être appliquerait-il une surveillance telle qu’il me serait impossible de retrouver une seconde occasion. En proie à une profonde tristesse je tentai donc de renfiler ma main dans l’ouverture, mais je n’y arrivais même plus.

Moments d’indicible angoisse ! Seule la force du désespoir me permit de libérer aussi la main droite.

Libre ! La vie et la mort étaient désormais en mon pouvoir.

Ce qui se déroula ensuite passa comme un éclair, mais l’esprit, dans des moments pareils, acquiert une vitalité dont on n’a pas idée.

En une seconde toute ma vie se polarisa sur ma conscience. Mes pensées étaient des concentrés de pensées. Tout ce qui composait mon être était intensément présent.

La lame



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