Mirror Lake by Mirror Lake

Mirror Lake by Mirror Lake

Auteur:Mirror Lake
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Les Éditions Québec Amérique
Publié: 2013-11-03T23:00:00+00:00


II

Second début

Durant la semaine qui a suivi la houleuse irruption de Picard dans nos vies, Jeff a pu jouir d’une relative tranquillité : pas moi. Je passais mes jours et mes nuits à guetter le lac, le chemin de gravier, les innombrables arbres de la forêt, certain que je verrais à un moment ou à un autre surgir la tête hirsute de Jack Picard de derrière un bouleau jaune dont l’allure me paraissait suspecte, les yeux globuleux d’Artie dans le tremblement des ténèbres, ceux rongés de John Doe dans le vaporeux nuage de brouillard s’élevant tous les matins de Mirror Lake, puis l’œil au beurre noir d’Anita, enfin, dans quelque buisson un peu trop agité pour ce qu’on attend d’un buisson. Bref, si la chose n’était pas encore faite, je devenais fou.

J’arpentais le bord du lac en marmonnant des mots aussi désuets que turbulence, turpitude et tribulation, que j’avais été chercher dans ce petit compartiment de ma mémoire où je range les choses qui peuvent toujours servir en cas de désastre, car ces trois mots résumaient dans mon esprit déçu l’effondrement du pitoyable éden que ma propension au rêve m’avait poussé à imaginer près de ce lac maudit des cieux. Si j’avais vécu dans un autre siècle, j’aurais écrit des lettres larmoyantes dans lesquelles j’aurais gémi à propos des tourments qu’apporte à l’homme orgueilleux son insensé désir de retrouver une pureté originelle dont sa vanité est indigne. Ça m’aurait soulagé de me lamenter dans un style qui n’était pas le mien et de savoir que quelqu’un, outre-mer ou frontière, attendait l’enveloppe flétrie où se consumait ma peine. Mais j’étais né à la mauvaise époque, celle des messages codés, laconiques, expéditifs et bourrés de fautes qui voyageaient à la vitesse de l’éclair, sans laisser le temps au désir de se morfondre. Alors je marmonnais, j’arpentais la plage et j’écrivais sur le sable des mots que plus personne ne comprenait ni n’utilisait, à commencer par moi, pour me changer de moi et oublier que la vie n’était que tribulation.

Turpitude, a prononcé Winslow avec son accent du Maine la première fois qu’il est venu lire ma plage, ce après quoi il a fait tut-tut, Robert, pour me secouer un peu, parce qu’il voyait que ça n’allait pas, on n’écrit pas des mots comme turpitude quand on a toute sa tête. Mais il me fallait davantage qu’un tut-tut pour me remonter le moral et me pousser à reprendre en mains ma vie chaotique, ce que voyait bien Winslow, qui a essayé de me proposer toutes sortes d’activités, de la pétanque au Monopoly en passant par le ping-pong et le water-polo. En vain. Même le jeu de la Pink Lady ne suscitait plus chez moi aucune réaction. Winslow s’est essayé avec le rouge, le mauve, le vert, qui recelait d’infinies possibilités, mais la mécanique s’était détraquée au contact des Dalton et de Picard. Green as Graham, s’esclaffait-il, fier de sa subtilité, devant un auditoire de glace. Green as the magnificent mountains, s’égosillait-il pendant que j’enfonçais ma turpitude dans le sable.



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