Mario Rigoni Stern by Mario Rigoni Stern

Mario Rigoni Stern by Mario Rigoni Stern

Auteur:Mario Rigoni Stern [Stern, Mario Rigoni]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


Le lièvre dans la neige

Ce froid cristallin, qui a rendu la neige poudreuse après le semblant de tempête des jours passés, nous offre la possibilité de faire une espèce d’inventaire des animaux qui sont restés dans la région après une saison de chasse. En regardant en arrière, loin dans le temps, on peut aussi en tirer des remarques, des comparaisons, des bilans.

Il y a cinquante ans et plus, nous étions peu nombreux à marcher en montagne et, quand la neige arrivait, à suivre la trace d’un animal. C’était un défi rude, éprouvant, aux rigueurs du climat, au terrain, aux gardes-chasse. Cela aussi parce que nous n’avions pas grand-chose dans le ventre et que notre équipement était très sommaire.

Par temps de neige, il était permis de chasser les tétraonidés, mais pas les lièvres, et encore moins les chevreuils que depuis toujours, après que leurs cornes sont tombées, à partir des premiers jours de novembre, on a le devoir de respecter. Mais tirer les tétraonidés sur un terrain enneigé, c’était presque impossible, car le bruit des brodequins cloutés dans la neige se répandait dans le profond silence : aussi, quand on arrivait au bord d’une cuvette où l’on était sûr de trouver quelques petits tétras, entendait-on seulement le bruit de leur vol avant d’arriver à portée de tir ; ou, du haut d’un rocher, voyait-on l’ombre des perdrix blanches qui s’envolaient sur une autre montagne. Mais rien que cela donnait de la satisfaction.

Pendant les années de l’après-guerre on avait faim, et attraper un lièvre pouvait être une grande fête pour la famille. Moi aussi, quelquefois, j’ai défié le froid et le garde-chasse pour suivre une trace, deux ou trois jours après une bonne chute de neige. Comme ce dimanche, il y a si longtemps, où j’avais un vieux fusil, trois cartouches, un morceau de pain et une croûte de fromage en poche.

J’avais marché depuis l’aube, avec de la neige jusqu’aux genoux, et enfin, sous un soleil éclatant, j’avais trouvé la trace infaillible d’un lièvre blanc. Je voyais les empreintes de ses grosses pattes qui, après des détours et quelques sauts, finissaient par disparaître là où des pins mughos sortaient de la neige entre des cailloux. Il était là.

Je vérifiai si mon fusil n’avait pas de neige dans le canon, je m’assurai de l’état de mes cartouches. J’armai le chien du percuteur ; j’étudiai le plan d’accès de manière à pouvoir atteindre l’animal ; je réfléchis à ses issues possibles. J’étais déjà sûr de le mettre dans mon vieux sac à dos et, bien décidé, je m’approchai avec précaution, savourant déjà le bonheur du dimanche suivant, avec mes enfants tout petits, autour de la table garnie de lièvre et de polenta.

J’avançai dans la neige haute, le doigt sur la gâchette, quand j’entendis qu’on m’appelait par mon prénom : là-bas, le garde-chasse avait suivi avec ses jumelles tout mon manège et il voulait prévenir un délit.

Je mis mon fusil sur mon épaule, je répondis à son appel en le saluant. Le lièvre blanc sortit en trottinant de son abri pour aller s’en chercher un autre plus tranquille.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.