L’IMPOSSIBLE PROHIBITION by Alexandre Marchant

Auteur:Alexandre Marchant [MARCHANT, ALEXANDRE]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: PERRIN

La (nouvelle) culture du junky

Les représentations et cultures associées aux pratiques évoluaient également, avec un changement de ton dû au contexte culturel de l’alternance politique qui fit souffler un vent de liberté. La fin des années 1970 avait vu naître des associations informelles d’usagers qui plaidaient la cause de la dépénalisation du cannabis. En 1981, leurs espoirs furent déçus : aucune dépénalisation, aucune légalisation mais plutôt des déclarations prohibitionnistes de la part de Jean-Pierre Chevènement. Ils n’abandonnèrent pas pour autant le combat qui fut alors mené sous la bannière du neuvième art. Les années 1981-1984 libérèrent la parole, y compris celle des contestataires, et sans aucune censure morale : la démultiplication des revues dites « alternatives » fut le pendant de l’aventure des radios libres au début du premier mandat présidentiel de François Mitterrand.

C’est ainsi que naquit à Paris en octobre 1981 le magazine Viper, revue de bandes dessinées qui s’inscrivait dans la lignée d’Actuel, mais en accentuant la dimension underground par un graphisme criard, volontairement hideux, et un tirage assez réduit : entre 5 000 et 10 000 exemplaires pour les premiers numéros avant de doubler en fin de parcours. La revue fut fondée par le dessinateur contestataire Gérard Santi, qui s’inspirait de la tradition des dope comics américains. Elle rassemblait des dessinateurs et scénaristes de la tendance punk, tel Daniel Hochard, dit Imagex, ou Mathieu de la Fouchardière, dit Mattt Konture. De nombreux auteurs venaient d’une autre revue de bandes dessinées punk de l’époque : Métal hurlant, à l’imaginaire de science-fiction, publiée depuis 1975. La thématique principale de Viper était clairement la légalisation des drogues. La revue plaidait pour une utilisation récréative mais aussi « spirituelle » des drogues et se positionnait en apparence contre les drogues dures, même si les bandes dessinées mirent plus d’une fois en scène, avec un regard complaisant, l’utilisation d’héroïne. La revue ne connaîtra que 11 numéros, avant d’être interdite en 1984 pour prosélytisme. Un tribunal du Mans condamna de fait la revue pour « apologie de la drogue », alors que Viper venait d’obtenir une subvention du ministère de la Culture. Santi fut condamné à 5 000 francs d’amende et un an de prison avec sursis64. La mise en scène des effets négatifs de la drogue (dépendance, dommages corporels, folie) était pourtant un moyen de contourner la loi, mais la représentation était loin d’être totalement objective. Pour les lecteurs, les images reflétaient plutôt un style de vie « junky » dont ils se réclamaient65.

Viper, « trimestriel pour adultes », avait des couvertures assez audacieuses : sur l’une, 1984 était annoncé comme « l’année de la gerbe » ; sur d’autres, on évoquait directement ou par allusions (« acides ») l’héroïne, le cannabis ou les hallucinogènes type LSD. À l’intérieur, la revue présentait une série de textes et de bandes dessinées transgressifs, au ton volontiers ordurier, mais ressentis comme jouissifs par son lectorat. Le magazine mettait notamment en scène un personnage de punk héroïnomane, nommé Bloodi. Créé par le dessinateur Pierre Ouin, ce

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