Lili bouche d'enfer by Pascal Garnier

Auteur:Pascal Garnier [Garnier, Pascal]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00

4

Hier soir, juste avant de s’endormir, Gillou trouvait son plan d’une simplicité et d’une efficacité presque insolentes : 1) faire semblant d’aller à l’école ; 2) retrouver Lili à l’arrêt du bus ; 3) filer à la gare et prendre le train pour Corbeil où sa grand-mère possède une maison qu’elle n’occupe pas à cette époque de l’année.

Comme dit son père, il y a là-bas suffisamment de provisions, confitures, conserves, etc. pour tenir un siège de dix ans. D’ici là, l’affaire aura eu le temps de se tasser.

Maintenant il est là, à l’arrêt du 96, piétinant sur place dans le petit matin glacé. Lili a déjà un quart d’heure de retard et le plan du Vengeur lui semble à présent plus fragile.

— Mais qu’est-ce qu’elle fiche !

Une lueur sournoise passe dans ses yeux : « Et si elle ne venait pas ?... » Sincèrement ça l’arrangerait. Le soir, quand on est le Vengeur, tout baigne, mais le matin, dans le froid, avec ce gros sac au bout du bras, les cent francs de tante Clotilde en poche et Corbeil à l’horizon, c’est moins palpitant.

Donc, si Lili ne venait pas, il pourrait retourner la tête haute au bahut, et rentrer chez lui peinard ce soir. Bien sûr, c’est très lâche comme pensée pour un Vengeur, mais c’est tellement réconfortant. Seulement il y a ce mot, glissé sous la lampe de sa table de chevet, ce mot qui dit :

« Chère maman, cher papa, surtou ne vou inquiéter pas, c’ait une question de vi ou de mor. Je par avec (comment doit-on dire ?) la fame de ma vie. (Il a lu ça récemment dans un livre et ça l’a beaucoup impressionné.) Je l’aime, elle m’aime et je vous aime. Inutil d’essayer de me retrouver, ou je serai je peut tenir un siège de dix ans comme dix papa. Un jour je reviendrai. Vôtre fils qui aime tout le monde. »

Sacrément bien tournée cette bafouille, mais si Lili n’arrive pas, sa mère trouvera le mot en faisant le ménage et...

Une main se pose sur son épaule. Gillou fait un bond de six mètres cinquante, peut-être un peu moins. Lili, jogging violet, cheveux au vent et œil brillant, apparaît en même temps que le bus.

— Je chuis en retard ?

— À peine ! Grimpe vite dans le bus. T’as pas pris d’affaires ? T’as pas de sac ? T’as rien ?

— Chi, un gros rhube. Maman voulait bas que j’aille au lycée aujourd’hui. A fallu que j’attende qu’elle choit bartie.

— Allez, monte, ça commence bien.

Mais comment lui en vouloir, ses yeux tout mouillés de larmes, sa mine défaite, ses lèvres tremblantes... Le bus démarre. À nous deux Corbeil, jungle sauvage ! Gillou a un gros machin dans la gorge, quelque chose comme une boule de pétanque, difficile à avaler, et puis ça pique aux coins des yeux.

— Toi auchi t’es enrhubé ?

— Pas du tout, c’est que toute la nuit j’ai étudié les cartes. Va falloir être courageuse.

— Je le cherai Chillou, je le cherai.

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