L'Île Réalité by Menéndez Salmón Ricardo

Auteur:Menéndez Salmón,Ricardo [Menéndez Salmón,Ricardo]
La langue: fra
Format: epub
Tags: SF
ISBN: 9782330100315
Éditeur: Actes Sud
Publié: 2018-02-06T14:49:30+00:00

* * *

** Équivalent allemand de l’Art nouveau, datant de la fin du xixe siècle. (N.d.É.)

*** En français dans le texte. (N.d.T.)

À BORD DE L’AURORE

Jadis tu as été argonaute. Dans une autre vie, dans un autre temps, quand tu parlais une langue différente et que le monde était encore jeune, tu as pris la mer à la conquête d’une peau de bélier. Les textes gardent le souvenir de ce voyage et te célèbrent avec des formules résonantes : conquérant, pilote, aventurier : héros. Te rappelles-tu ton nom exact ? Amphidamas. Éthalidès. Méléagre. Pollux. Télamon. La distribution varie selon celui qui parraine le texte, mais aucun doute, tu étais là. Des langues que plus personne ne parle aujourd’hui l’attestent. Tu as sur la peau des cicatrices qui résument ce périple, les étapes impossibles à oublier : île de Lemnos, lointaine Colchide, mer Noire. Sur les atlas du Système respirent encore les cités que tu as fréquentées sous un autre masque : Batoumi, Constance, Odessa, Sotchi, Varna. Ta trace est restée imprimée dans ces rues, sous ces cieux. Ta trace, Narrateur. Ce que tu pourrais un jour léguer au monde. Ce qui fait que, d’une certaine façon, cet endroit n’est pas nouveau pour toi. Tu as déjà été sur ce navire. Parce que tous les navires sont le même navire qui parcourt la rumeur infinie de la mer. Et parce que de son bord tu peux voir le monde comme il est vraiment. Voir les plages de la mer. Voir les villes de la mer. Voir les terres cultivées et les terres en jachère ; voir de la mer les terres de joie et d’attrition. Car quiconque a un jour été argonaute le sera à tout jamais.

Tu dors dans une pièce de trois mètres sur trois, avec deux couchettes métalliques adossées au mur et un œil-de-bœuf pour horizon. Une ampoule au plafond ; une grille d’aération au-dessus du cadre de la porte ; un drap, une couverture, un oreiller ; une vieille serviette de toilette, tout usée. Tu portes des vêtements confortables : chemise de flanelle, pantalon de coutil, sandales de cuir. Tu as un pull avec des pièces aux coudes pour quand il fait très froid. Et des chaussettes de laine qui sentent la naphtaline. Et aussi un bonnet qui conserve l’odeur des cheveux de son ancien propriétaire. Tu es un chromo réitéré, une image efficace. Tu ne disposes ni de lavabo ni de toilettes. Tu dois quitter la cabine chaque fois que tu veux te soulager. Ton monde s’est une nouvelle fois réduit. Maître et seigneur de la Station ; patient et confident de l’Académie ; prisonnier de l’Aurore. Et malgré tout, au fond de toi, tu sens que tout s’élargit avec ton changement de situation dans le Système. Comme si se dépouiller de l’espace extérieur augmentait l’extension de la conscience.

Se peut-il que personne jusqu’ici n’ait réfléchi à pareil paradoxe ? Au fait qui, par moments, te semble indiscutable, que plus l’espace dont un homme dispose est

Télécharger

Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.