L'exil est vaste mais c'est l'été by Alain Vircondelet

L'exil est vaste mais c'est l'été by Alain Vircondelet

Auteur:Alain Vircondelet [Vircondelet, Alain]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Art
ISBN: 9782213713854
Éditeur: Fayard
Publié: 2019-01-15T00:00:00+00:00


Dora se replie alors sur elle-même, se retranche dans sa souffrance intérieure, mesure l’impasse où son couple se trouve. Picasso n’aime rien tant que ces heures sombres, il ne se déploie, ne s’épanouit que lorsque l’arène s’assombrit et qu’il voit y planer la mort. Il active même le processus funeste, enclenche des ressorts de plus en plus cruels, par exemple celui de se mettre à peindre la défaite visible du visage de Dora. Il s’y emploie en inaugurant une série reçue comme un coup de poignard dans sa poitrine par une toile qu’il intitulera La femme qui pleure. Nul doute qu’il s’agit là de Dora reconnaissable à certains traits et à de petits signes qui l’identifient sans équivoque. Dès juin 1937, tandis que la toile de Guernica n’est pas encore livrée, il s’emploie à déconstruire Dora. Commence un nouveau chantier qui, presque quotidiennement, apportera une toile nouvelle la représentant, criant, pleurant, démente et désespérée. La première d’entre elles, en date du 27 juin 1937, la représente déstructurée, de profil et de face comme le seront la plupart de celles qui suivront, les yeux qu’elle a d’ordinaire si beaux, presque suppliants sur certaines photographies, révulsés et torves, la chevelure jetée en arrière, les larmes coulant de l’unique joue, ressemblant à des flèches ou mieux encore à des clous, comme ceux qui blessent le corps du Christ, sa main semblable à un tranchoir, tenant un mouchoir. Tout le sadisme de Picasso est à l’œuvre, jubilatoire et agressif. Certains, au début, crurent à une représentation allégorique d’une mère espagnole, pénétrée de douleur, certains voulurent y voir une métaphore de la douleur humaine, une sorte de Mater dolorosa, comme il en existe tant dans la peinture religieuse espagnole, mais les toiles à venir ne laisseront plus de doute sur l’identité du sujet. Il se pourrait toutefois, on l’a vu dans la peinture de tous les temps, qu’une muse puisse endosser un rôle allégorique, chez Dalí par exemple (on pense à Gala représentée en Vierge Marie), mais dans le cas de Picasso, il n’en est rien. La fréquence en rafale des tableaux montrant Dora pleurant, tourne à l’humiliation et au harcèlement. Dora chaque jour, assiste à l’exhibition d’une nouvelle toile, elle est commentée par la Cour, moquée, ridiculisée, elle devient un sujet de plaisanterie, Picasso s’en explique encore une fois auprès de Malraux : « Je lui ai donné une apparence torturée non par sadisme ni parce que j’y trouvais du plaisir, mais pour obéir à une vision qui s’est imposée à moi2. »



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