Lettres au Castor et à quelques autres (Tome 2) - 1940-1963 by Jean-Paul Sartre

Lettres au Castor et à quelques autres (Tome 2) - 1940-1963 by Jean-Paul Sartre

Auteur:Jean-Paul Sartre
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2018-04-14T16:00:00+00:00


Pieter à qui j'ai dit : « Je suis si fier d'avoir torché le type que je vais l'écrire à mon amie », m'a dit : « Tu permets que j'ajoute quelques lignes pour dire qu'il n'y a pas de quoi être fier et que le type est une crêpe ? » Je lui ai dit : « Vas-y » en lui tendant un papier et il a répondu : « Non. Je me ferais encore critiquer pour le style. »

Marcelle prend tournure (le genre vieille cynique dure).

À SIMONE DE BEAUVOIR

Jeudi 25 avril

Mon charmant Castor

Après le Théâtre aux Armées, voici la Justice aux Armées. J'ai été ce matin – et à vrai dire en me faisant un peu tirer l'oreille – à une audience du Tribunal militaire. Ils ont dépêché quatre affaires en trois heures et je suis arrivé au milieu, vers dix heures, pour la troisième affaire. C'était dans une salle du Tribunal civil. Peu d'assistance, le piquet de garde, casque en tête, baïonnette au canon et puis une douzaine de grivetons derrière, dont j'étais. Six jurés, colonel, commandant, etc., jusqu'au simple soldat (parce qu'il faut un juré du grade de l'inculpé) et en plus un commissaire du gouvernement, capitaine faisant fonction de procureur, un greffier et un avocat. Tout ça le casque à portée de la main. Le casque fait fonction de toque de magistrat. Le colonel après les délibérations rentre casqué et ôte son casque pour lire la sentence. Le colonel zozotait et n'avait pas l'air vache. Un commandant silencieux, à ses côtés, paraissait terrible et gastralgique. Au coin le procureur, un gros moustachu à lorgnon, à la lèvre humide, refaisait sa provision de colère. Je voyais l'inculpé de dos, un soldat. Il était cycliste à dix kilomètres des lignes et sa fonction était de porter des plis au commandant des batteries installées à 10 kilomètres de là. Inculpation : désertion devant l'ennemi. C'est la plus grave. Il avait une maîtresse enceinte dans une ville proche (c'est agaçant de ne pas pouvoir mettre les noms, ça oblige à des périphrases comme dans la poésie du XVIIIe siècle) et il vivait avec elle avant la guerre. Parti dès septembre il voulait l'épouser, mais les formalités traînaient, les papiers attendaient à la mairie de la ville en question. Un jour, sur un coup de noir et dûment saoul, le 7 janvier exactement, il part avec sa bécane, arrive à la ville, va chercher sa maîtresse et passe dix jours avec elle sans trop se montrer. Tout de même il allait au restaurant assez souvent, ayant pas mal d'argent. Un beau jour il rencontre un soldat de son régiment qui lui dit : « Rentre. Tu vas te faire baiser. » « Bon », dit-il. Et il rentre. On voudrait savoir ce qu'il se passait dans sa tête pendant qu'il était là-bas à X. avec sa fiancée, qu'il savait que chaque jour aggravait son cas et qu'il restait à traîner. Mais le Tribunal ne s'en est pas soucié. Le colonel



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.