Lettre Ouverte Aux Culs-Bénits by François Cavanna

Lettre Ouverte Aux Culs-Bénits by François Cavanna

Auteur:François Cavanna [François Cavanna]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: calibre
Publié: 2012-07-18T00:39:09+00:00


Les seins d’Agathe

En cherchant autre chose dans le gros dictionnaire – vous savez comment sont les dictionnaires, ils vous happent par-devant par-derrière –, je tombe sur « Agathe (sainte) ». Sainte, donc martyre. Savez-vous ce qu’ils lui ont fait, à Agathe[1] (sainte) ? Ils lui ont coupé les seins. À ras. Rien que ça, déjà, hein… Mais attends, attends ! Elle se protège les seins avec les mains. Geste, veux-je croire, purement instinctif, impulsion irraisonnée, qui n’ôte rien à la pureté de sa foi pas plus qu’à l’ardeur de son aspiration au saint martyre. Elle protège donc ses seins, ses mignons petits seins. De ses mains. Qu’à cela ne tienne : le bourreau, d’un seul coup ample et précis, coupe les mains avec les seins. C’est un métier, eh oui. Tu ne te sens pas bien ? Moi non plus.

Le dictionnaire est plein de choses de ce genre. De saints martyrs éventrés dont on enroule soigneusement les intestins sur une espèce de treuil à tambour, tandis que le saint, mains jointes, yeux au ciel, sourit ineffablement sous son auréole toute neuve… Et on raconte ça aux petits enfants ! Mais attends !

On a fait de sainte Agathe maintes images et statues de bois ou de pierre. On l’y voit, tantôt portant dans ses mains ses seins coupés, tantôt sans mains ni seins. Les touristes, pieusement, cherchent le bon angle pour la photo. Et attends ! On en fait des brioches. Des brioches en forme de mains coupées, des brioches en forme de seins coupés… Ça se vend ? Ça se vend, ça se mange, c’est une spécialité du pays, vois-tu.

Ça me rappelle ces têtes de cochon hilares qui servent de label aux grandes marques de charcuterie industrielle. Même bon goût de charognards, même sadisme rampant, pas si inconscient que ça, toujours prêt à jaillir. Abject. Mais bien dans la ligne d’une religion qui a pris pour dieu un cadavre écartelé sur un poteau de torture.

Quand j’avais l’âge du catéchisme, à la messe du dimanche, ma place assignée parmi les autres gosses était telle que j’avais devant les yeux, tout près, une fenêtre à vitrail où l’on voyait, grandeur nature, saint Sébastien lié à son poteau. Le malheureux, tout nu sauf un petit pagne pour la pudeur, était hérissé d’innombrables flèches dont le criblaient des mécréants qu’on ne voyait pas. Il saignait beaucoup. Ses plaies étaient très bien peintes, très ressemblantes. Pendant toute la messe j’avais cette horreur devant moi, un peu sur ma gauche, je ne pouvais m’empêcher de regarder. J’éprouvais une trouille épouvantable, une trouille telle que j’en oubliais d’avoir pitié. Pitié ? Mais ce garçon à qui on faisait ces choses abominables, c’était moi ! Qu’aurais-je fait, moi, s’il m’avait fallu choisir entre mon dieu et les flèches ? Hélas, je savais trop bien que j’aurais renié tout ce qu’on aurait voulu, et j’avais honte, et je me traitais de lâche et de piètre chrétien, mais je ne pouvais pas me raconter d’histoires… J’en étais malade.

Depuis, j’ai su



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