L'espoir by Malraux André

L'espoir by Malraux André

Auteur:Malraux, André [Malraux, André]
La langue: fra
Format: epub
Tags: roman
ISBN: 9782072476198
Publié: 1936-12-31T23:00:00+00:00


Deuxième partie

LE MANZANARES

I. ÊTRE ET FAIRE

CHAPITRE PREMIER

La cohue affolée qui avait fui Tolède, les miliciens sans fusil du Tage, les débris des bataillons paysans d'Estrémadure, battaient la gare d'Aranjuez. Comme des feuilles réunies en tourbillon puis hachées par le vent, des groupes arrivés en courant se dispersaient dans le parc de marronniers plein encore de roses grenat, ou arpentaient, comme les fous leur jardin, les allées aux platanes impériaux.

Les déchets des milices aux noms historiques, les Invincibles, les Aigles rouges, les Aigles de la Liberté, s'agitaient sur le tapis de fleurs tombées, aussi épais que l'est ailleurs celui des feuilles mortes, les bras ballants, leurs fusils tirés par le canon comme des chiens, et s'arrêtaient pour écouter le canon se rapprocher de l'autre côté de la rivière. Entre les coups qui montaient du sol, assourdis par l'épaisseur des fleurs de marronniers pourries, on entendait une cloche ancienne.

– Une église, en ce moment ? demanda Manuel.

– On dirait plutôt une cloche de jardinier, répondit Lopez.

– Ça vient du côté de la gare.

D'autres cloches et clochettes, des timbres de vélos, des trompes d'autos, et même des casseroles accompagnaient maintenant la cloche. Les épaves du rêve révolutionnaire, sabres, couvertures rayées, robes de rideaux, fusils de chasse, – même les derniers chapeaux mexicains – revenaient du fond du parc vers ce tam-tam qui ralliait les tribus.

– Dire que la moitié au moins sont braves... dit Manuel.

– Quand même, disait Lopez, ça s'est fort, tortue : ils n'ont pas bouzillé un seul buste !

Le long du parc, les célèbres bustes de plâtre, éclairés en rose par la réverbération des briques anciennes, étaient intacts sous les platanes de contes. Manuel ne les regardait pas. Tournoyant comme une volière rapportée d'Amérique par les princes pour leur jardin d'Aranjuez, le carnaval dégringolait vers la gare sous les arcades de briques, dans la lumière rose des perspectives royales.

A mesure que Manuel et Lopez se dirigeaient eux aussi vers la cloche, un mot devenait précis : locomotive. Qu'ils n'aillent à Madrid à aucun prix ! pensa Manuel : il n'avait nulle peine à imaginer l'arrivée de dix mille hommes démoralisés, prêts aux plus incroyables bobards, aussitôt après la prise de Tolède – alors que Madrid s'organisait désespérément.

Ils étaient maintenant tout près de la gare. Drid-Madrid-drid-drid grinçait de tous côtés comme un crissement rageur de cigales.

– Comme ils ont foutu le camp, ils vont raconter que les Maures sont invincibles, dit Lopez : il faut que les Maures soient supérieurement armés, et ainsi de suite, pour qu'eux aient le droit d'avoir foutu le camp, naturellement !

– Ils ont foutu le camp parce qu'on ne les commandait pas. Avant, ils se battaient aussi bien que nous.

Manuel pensait à Barca, à Ramos, à ses camarades du train blindé, à ceux du Tage. Et aussi à un vieux syndicaliste, porte-drapeau d'une manifestation, quelques années plus tôt : la manifestation, arrêtée par des forces de police énormes, avait obtenu le droit de continuer sa marche à condition de rouler les drapeaux. – Roulez les drapeaux ! avaient donc crié les responsables.



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