L'Espagnol by Bernard Clavel

Auteur:Bernard Clavel [Clavel, Bernard]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Publié: 2013-12-30T21:38:45+00:00

26

Une fois couché, Pablo s’était mis à frissonner. Mais bientôt, une bouffée de moiteur l’avait enveloppé. Pourtant, il n’avait pas bougé. Il était resté longtemps immobile à écouter le vent qui secouait les arbres et la tente. Il ne pleuvait plus, mais à chaque bourrasque, des gouttes crépitaient sur la bâche.

Jeannette ne s’était pas arrêtée de ronfler, mais la patronne avait dû mettre très longtemps à s’endormir. Pablo l’avait entendue plusieurs fois se retourner en soupirant. Il avait envie de se lever et d’aller coucher seul dans le bois, sur l’herbe mouillée.

Sous cette bâche, il étouffait. L’orage avait chassé là toute la chaleur gluante, tout le poids du jour interminable tapi depuis le crépuscule au fond de la combe. Ici, c’était aussi la nuit, mais une nuit différente de celles qui s’égouttaient sur les rochers et les herbes couchées par l’averse. Entre ces deux nuits, il y avait une simple toile imprégnée d’eau, mais qui suffisait à garder prisonnier cet air qui passait mal dans la gorge, qui appuyait sur les côtes. Cet air qui sentait l’odeur des corps où la sueur refroidit, l’odeur des bouches entrouvertes.

Il y avait surtout ces corps qui respiraient, qui vivaient, qui tenaient toute la place.

Et puis, en plus des corps couchés, il y avait aussi Mariana.

Mariana était revenue ce soir, sous cette tente, plus présente que jamais. Mariana qui n’était plus tout à fait le visage serein du portrait, mais un masque plus douloureux. Pablo avait lutté longtemps contre cette image, contre toute une foule d’idées qui lui venaient, contre la fièvre surtout qui envahissait son corps par bouffées, comme un vent brûlant qui pénètre jusqu’au cœur des maisons.

Puis, à force de lutter, il avait fini par s’endormir.

Et il dormit longtemps, d’une seule traite.

Lorsqu’il s’éveilla, il faisait grand jour et il était seul sous la bâche. Dehors, c’était le silence.

Il se leva. Ses vêtements étaient encore humides. Il en chercha d’autres dans le fouillis des habits entassés au fond de la tente, s’habilla en hâte et sortit.

La patronne remontait de la combe où Jeannette se trouvait déjà avec les bêtes. Quand elle vit Pablo, elle sourit.

— Bonjour… dit Pablo. J’ai dormi longtemps. Vous auriez dû m’appeler.

La patronne haussa les épaules en soupirant :

— Pour ce qu’il y a à faire !

Son visage était crispé et ses yeux battus. Pablo la regarda un moment tandis qu’elle sortait le pain du torchon qui l’enveloppait.

Il aurait voulu parler mais ne trouvait rien à dire. Il se tourna du côté de la combe où le soleil pourchassait entre les buissons quelques maigres écheveaux de brume.

— L’orage n’a pas duré longtemps, finit-il par dire.

— Non.

Le silence revint. L’air crissait déjà de tout un va-et-vient de mouches. La fraîcheur du sol rampait sous la chaleur du ciel. C’était le grand chaud qui s’installait de nouveau. Pablo sentait tout cela autour de lui. Il le sentait en lui, avec le poids qui l’avait oppressé les jours précédents. Et, en plus, il y avait autre chose. Une chose mal définie qui venait à la fois de ce silence de la patronne, et du retour de Mariana.

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