Les Terres de l'infini - 01 - La Peau de Bison by Frison-Roche Roger

Auteur:Frison-Roche, Roger [Frison-Roche, Roger]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Flammarion (Éditions)
Publié: 1971-01-14T23:00:00+00:00

Tard dans la nuit, le père Keredec frappa doucement et entra.

Max, prostré devant le divan, ne tourna même pas la tête.

— Tu devrais manger un peu, tu auras besoin de toutes tes forces, relève-toi. Dieu maintenant veille sur Rosa ; la femme de Tuktu t'envoie ce morceau d'élan grillé, et un peu de banek. Nous le partagerons. Ensuite nous parlerons d'elle, ou de toi…

Il obéit comme un automate, et les deux hommes, accoudés sur la table de bois irrégulière que Max avait fabriquée de ses mains, commencèrent leur étrange veillée. La nuit serait longue, mais ils avaient tant de choses à se dire, car Keredec sentait confusément qu'il allait perdre un ami, un compagnon.

Le bush, le lac, les Indiens et les animaux sauvages de la forêt, tout cet univers primitif qui les entourait, Max ne l'avait-il vécu et aimé que pour et par l'amour de Rosa ? Cela, Max seul pouvait le lui dire.

Ils commencèrent par ces choses banales qui accentuent encore la cruauté des deuils ; même en ces pays vierges, la mort ne passe pas inaperçue, et le père Keredec était, en quelque sorte, le représentant de la loi et du gouvernement dans la petite communauté indienne, il avait des comptes à rendre à la société, des rapports fastidieux à établir, les M. P. allaient ouvrir une enquête… Il fallait épargner tout cela à Max.

— J'ai fait le nécessaire, Max. L'administrateur a été prévenu par radio, j'ai envoyé également un message aux M. P. de Fort-Resolution, ne t'inquiète de rien. Demain nous enterrerons ces deux malheureuses victimes, entre nous, et puis après… Après, que vas-tu faire, Max ? Au fond, je sais tout et rien de toi, je ne t'ai jamais interrogé et tu ne m'as pas fait de confidences et Peter Cowl a toujours été d'une discrétion exemplaire. Ce qu'il m'a dit de toi, c'est ce que vous avez fait pendant la guerre. Je savais que tu étais venu ici pour oublier cette tuerie et pour cette raison je ne t'en ai jamais parlé. Je n'ai pas, moi non plus, le culte des héros. Si cela te fait du bien, parle, sinon tais-toi, notre silence commun était à la base de cette amitié que je t'ai donnée et que tu m'as bien rendue. Si ma présence te suffit, ne parle pas.

Max leva lentement la tête.

— Tu es mon ami de quinze ans, et c'est à toi que je dois mon bonheur. Éteins cette lumière, l'ombre convient mieux au rappel du passé.

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