Les structures du mal by Patrice Jean

Les structures du mal by Patrice Jean

Auteur:Patrice Jean
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 2919547364
Éditeur: Rue Fromentin (17 novembre 2014)
Publié: 2018-08-15T16:00:00+00:00


CHAPITRE V

La seconde confession d’Henri Berg

Cher ami,

Je ne vous ai pas tout dit. Il manque un épisode que les glorieux vivants condamneront. Je suis chez moi. À plusieurs reprises, j’ai sombré – oh, peu de jours – dans le coma. Peu de jours. Il manque un épisode que les glorieux vivants, bientôt cadavres et cendres, condamneront. Aurai-je le temps ? Si cette lettre n’est pas signée, comprenez que ces lignes sont celles d’un mort. J’ai demandé à Milène de l’envoyer. Elle le fera. Elle ne doit pas la lire. Elle s’abstiendra. Je ne voulais pas rester à l’hôpital, dans cette chambre de prisonnier, avec du lino et des carreaux blancs au-dessus du lit, comme des barreaux sanitaires. Je mourrai entouré de bibelots, de livres, de bustes, de meubles familiers. Les objets sont une famille. On me condamnera. Mais les juges sont des condamnés à mort. Les jugements s’effaceront, avec les juges.

Je reprends cette lettre. Je n’ai encore rien dit. Deux jours sans connaissance. Il faut aller à l’essentiel. Il y a des rémissions dans l’agonie. Aujourd’hui, enfoncé dans l’oreiller, je n’arrive pas à imaginer que ma conscience puisse s’éteindre. Une tendre lumière de printemps scintille sur les carreaux de la couverture. Peut-on mourir quand la vie palpite ? J’entends le chant des oiseaux derrière la fenêtre entrouverte. La sève irrigue les roses trémières qui s’élancent vers le ciel bleu. Pétales rouges. Et je vais mourir.

Par où commencer ? Je n’ai pas la force de reconstruire la chronologie des événements. Ma mémoire est un livre aux pages arrachées ; il n’y aura bientôt plus de pages, plus de livre, plus rien : le néant.

Je l’ai reconnu. Je l’ai reconnu comme un spectre du passé, là, devant moi, parmi les étudiants, on l’avait lavé de son sang et son crâne émietté avait été remodelé. Il était assis au troisième rang, près du couloir. Il prenait des notes, comme les autres étudiants. Je développais l’analyse freudienne sur le rôle protecteur des symptômes névrotiques. Il prenait des notes. C’était en septembre, il faisait chaud. Depuis deux ans, je donnais des cours à Jussieu, en psychologie. C’était un ami, professeur à Paris 7, qui m’avait proposé de dispenser des cours sur la psychanalyse freudienne. Par chance, la famille de Milène possédait un petit studio au 55 de la rue Monge. Tous les lundis, je quittais la gare de Saint-André pour la gare de l’Est et je retournais, le mardi soir, dans mon foyer. J’alternais les consultations en province et les cours à Paris. Il m’arrivait de rester une semaine dans la capitale ; et ce programme contentait la double aspiration que nous avons tous d’expérimenter plusieurs vies à la fois. Il prenait des notes. Ressuscité.

À la fin de l’heure, j’interrogeai des collègues sur ce nouvel étudiant de deug II, ce jeune Arabe, mais personne ne l’avait remarqué. Une femme de l’administration accéda à ma requête, bien qu’elle eût des « tâches plus urgentes à accomplir ». Il s’appelait Adil Kessous, était âgé de vingt et un ans et s’était inscrit, en septembre de l’année, à l’université de Jussieu.



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