Les princesses vagabondes by Lenormand Frédéric

Auteur:Lenormand,Frédéric [Lenormand,Frédéric]
La langue: eng
Format: epub
Tags: Roman Historique
Éditeur: Frédéric Lenormand
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00

Janvier 1797.

Bonaparte avait claironné son intention de « venir réveiller le peuple romain avili par plusieurs siècles d’esclavage », formule nouvelle pour désigner une invasion, et cette annonce, par la panique qu’elle provoqua, suffit presque à lui offrir la ville.

La peur s’empara de la cité, dont les habitants semblaient regretter de n’être pas au nombre des statues ornant leurs murs.

Victoire proposa de s’embarquer pour les Amériques, les forêts tropicales, les plaines infinies ; Louise suggéra que c’était un signe du ciel, qui lui ordonnait d’aller instruire les petits Chinois dans la vraie foi ; Sophie nourrissait le projet d’éduquer le peuple pour qu’il résistât à l’embrigadement : elle souhaitait enseigner l’alphabet dans les œuvres de Rousseau. Quant à Adélaïde, elle voulait bien lutter encore contre la Révolution, mais non contre trois démentes qui se prétendaient de sa famille. Elle déclara qu’il fallait décider à présent d’une destination et, comme Victoire levait le doigt, prévint qu’elle giflerait quiconque parlerait de baobabs.

On convint d’une retraite provisoire et consensuelle à Albano, à quelques lieues au sud de la ville.

Une difficulté se présenta lorsqu’elles sortirent. Devant le palais se pressait une petite centaine d’émigrés désemparés, parmi lesquels des prêtres, des femmes et des enfants.

Il était pénible d’abandonner ce reliquat d’aristocratie pour monter dans leur vieux carrosse, qui d’ailleurs eût difficilement atteint le portail à travers pareille affluence.

– Nous allons mourir ! glapit un évêque. On va nous massacrer !

– Dieu aura pitié de vous, Monseigneur, répondit Adélaïde en s’installant sur sa banquette.

Elle ne fut pas assez leste pour empêcher Sophie de se dresser sur le marchepied et de brailler un discours digne des plus dangereux progressistes, d’où ressortait qu’elle leur promettait protection et assistance au nom des siens. La sœur aînée songea que de tels engagements ne les rapprochaient pas d’Albano, et qu’il était bien l’heure de se constituer une cour.

Restait à se procurer les voitures nécessaires, vaste ambition en une période où le prix du véhicule quel qu’il fût grimpait de minute en minute.

Louise, apparue sur le perron, une Vénus dans les bras, affirma que satis esse dimittere paucas res eodem genere. (Il suffisait de se débarrasser de deux ou trois saletés du même genre.)

Elles vendirent donc en hâte les bibelots du palais, dont de toute manière elles n’auraient plus l’usage. Ce que Bernis avait pu sauver de bronzes délicats, de tableaux enchanteurs, s’échangea contre de vilaines carrioles menaçant ruine, qui représentaient autant d’âmes soustraites aux horreurs de la guerre. Enfin Adélaïde put lancer le signal du départ :

– Allez ! À Albano ! Et dans la dignité !

Leur carrosse fatigué s’ébranla, suivi de dix équipages de fortune où s’amoncelaient d’hétéroclites masses de paquets et de malles bringuebalantes. Elles traversèrent la ville, où les autorités dressaient en hâte des arcs de triomphe en l’honneur de Bonaparte, tandis que sous les fenêtres des cardinaux stationnaient des charrettes pleines de bagages et de prélats en fuite.

19 février 1797.

Elles s’arrêtèrent dans la première bourgade qu’elles rencontrèrent sur la via Appia — c’était Albano — afin de

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