Les montagnards de la nuit by Frison-Roche Roger

Auteur:Frison-Roche, Roger [Frison-Roche, Roger]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature Française
Éditeur: Blondie - La Gang
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00

Chapitre XX

Le soleil venait de se coucher sur le mont Blanc.

Assis sur le banc de bois adossé au chalet d’alpage, Laurent rêva longtemps face à l’immense panorama. Il vit monter des vallées les ombres de la nuit et attendit que la dernière lueur rose se fût éteinte sur la plus haute cime de l’Europe pour se relever et faire le tour du camp.

Les chalets des Mouillaz étaient échelonnés au pied de la grande barre calcaire qui culminait droit dessus par la crête en dentelle du Clapier. La grande paroi de trois cents mètres, plongée dans l’ombre, paraissait encore plus redoutable. Elle était lisse et surplombante et aucun itinéraire d’alpiniste n’y avait été tracé, mais plus au sud, une sorte de faille courait dans la falaise, presque invisible du bas et que seuls quelques éclairages favorables signalaient parfois. Gorge étroite et verticale, coupée de ressauts et de surplombs, c’était néanmoins la seule issue en cas d’attaque par le bas, et Laurent l’avait équipée aux points difficiles de cordes et de pitons permettant un cheminement plus facile. On montait en une heure des Mouillaz au Pas-de-l’Échelle, et au-delà, comme il arrive souvent dans les reliefs calcaires, un clapier incliné coupé de quelques barres rocheuses, sorte de lapiaz, permettait de gagner rapidement les profondes forêts du versant ouest…

Dans les trois chalets, les hommes de Laurent répartis par groupes de quinze s’affairaient aux besognes du soir. Petit maquis hétéroclite au départ – mais il avait bien fallu accueillir les jeunes qui fuyaient le STO ou les rafles –, Laurent en avait fait non sans peine un bon groupe de combat. Son second était un ancien sergent, Laprune, qui pouvait le remplacer utilement pendant les nombreuses absences que motivaient ses contacts avec Rivier et d’autres, missions précises dont il n’entretenait personne.

Maintenant la nuit était noire ; tout se confondait : les croupes forestières proches, les alpages et les grandes murailles. Un grand souffle parcourait le plateau, comme chaque soir lorsque monte la brise de vallée des bas-fonds surchauffés vers les altitudes froides de la haute montagne. Laurent plaça ses sentinelles aux débouchés des deux sentiers muletiers qui permettaient, l’été, lorsque les troupeaux animaient l’alpage, de descendre les fromages et le lait à la fruitière, puis il rentra dans le bâtiment principal où ses compagnons jouaient aux cartes, rêvaient en écoutant les airs d’harmonica que jouait Dubreuil, le benjamin.

Des Mouillaz il fallait à Laurent six heures à pied pour gagner le PC de Rivier, mais un système de relais lui permettait de communiquer avec son chef en un peu moins de deux heures grâce aux paysans des deux versants, qui avaient accepté de faire les liaisons…

Laurent ne s’illusionnait pas sur la précarité de son dispositif. Il ne redoutait pas les patrouilles allemandes, lui et ses compagnons seraient toujours prévenus à temps et alors en un instant ils auraient franchi le Pas-de-l’Échelle et se seraient dispersés dans les replis du massif, insaisissables, mais il savait qu’un peu partout le long de l’immense paroi rocheuse longue de près

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