Les lieux qu’habitent mes rêves by Felwine Sarr

Auteur:Felwine Sarr [Sarr, Felwine]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2021-12-02T09:39:59+00:00

Waï-Nuk

Le Ndut bat son plein. Les Juul continuent à arriver malgré le fait que l’initiation ait commencé depuis plusieurs jours. Le Nghaaman a dû reprendre du service à la lisière du Waï-Nuk. Les journées sont rythmées par l’enseignement, les chants des Selbés et des initiés, les coups de lengués qui s’abattent sur les néophytes, les énigmes qu’il faut déchiffrer. Chaque matin, les Juul racontent leurs rêves et Fodé les écoute attentivement. Il a déjà repéré ceux qui parmi eux ont des dons de prémonition. Les anciens ont décidé que la case qui protège les Juul serait élargie pour accueillir les retardataires. Le Ndut était déjà scellé, mais ils ont accepté de le rouvrir. Les Juul commencent par apprendre le Mbéré mbeté. Mbéré mbéré mbeté, mbeteyam […] sarakuli dambo, rikiim rakaam […] wayo mbotoyo ndukam coo yare […]. C’est un chant initiatique dont la prosodie est fondée sur l’évolution des syllabes et leur proximité sonore. Il est destiné à travailler la mémoire et contient des messages qui leur seront décodés. Ceux dont la langue fourche le paient par des coups de lengués qui leur sont assenés par les Selbés. Ils sont survoltés. Les plus âgés modèrent leur ardeur. On apprend en chantant, au rythme des tambours. Certaines démonstrations qui nécessitent une attention particulière sont faites dans un silence complet. Tout y passe. Les vertus de plantes médicinales, les espèces comestibles, l’heure à laquelle monte la sève de certains arbres, la lecture de la position des astres pour se guider en pleine nuit dans la forêt et en mer. Comment supporter une position inconfortable. Comment ne pas éternuer. Comment décoder certains messages contenus dans le regard et le silence. Comment annoncer une mort ou un danger imminent sans parler. Tous les initiés de la région peuvent accéder au Ndut. Ils répondent à une énigme qui leur est posée à l’entrée du nid, assistent aux séances, transmettent leur savoir et repartent.

Jegan assiste Fodé dans sa mission. Il vérifie chaque matin et chaque soir que le Ndut est mystiquement clos. Il fait la synthèse des rêves et des visions nocturnes des Juul ; repère le type d’oiseaux qui se posent sur le toit du nid et le type d’animaux domestiques qui rôdent autour. Certains sont inhabituels dans cette partie de la forêt. Ce sont sûrement des Nak ayant pris une forme animale pour surveiller le Ndut. Jegan les chasse avec son bâton de Kel, en blesse certains à la patte et vérifie le lendemain si un Selbé ou un Juul a la même blessure.

Moon est féroce. Il vient de l’un des villages du Loog. Il est expérimenté et connaît le sens caché de la plupart des chants initiatiques. C’est le Selbé le plus craint des Juul. Quand il demande les lengués, un silence s’abat dans le nid. Fodé a remarqué cet adolescent que l’on surnomme Jogoy. Petit de taille. Quelque chose qui relève de la témérité l’habite. Il supporte sans ciller les coups de lengués de Moon et fait montre d’endurance lors des marches en forêt.

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