Les Latins en Orient (XIe-XVe siècle) by Michel Balard

Auteur:Michel Balard
La langue: fra
Format: epub
Tags: Sciences humaines et sociales
Éditeur: Presses Universitaires de France

Le vol des reliques

Constantinople représentait en effet le plus grand entrepôt de reliques dans le monde chrétien, comme le rappelle Geoffroy de Villehardouin : « Des reliques, il ne faut point parler ; car il y en avait autant à ce momentlà dans toute la ville que dans le reste du monde » [6] . En 1203-1204, les croisés considérant les Byzantins comme des traîtres à leurs idéaux, trouvent normal de s’emparer des reliques de leurs églises et monastères. Robert de Clari décrit avec concupiscence les reliques de la chapelle du Boucoléon, de l’église des Saints-Apôtres et de Sainte-Marie-des-Blachernes. Pendant trois jours (13-15 avril 1204), le pillage se donne libre cours ; ensuite s’organise une spoliation méthodique. Les reliques sont réunies dans la maison de l’évêque de Troyes, Garnier de Trainel, puis dans celle de l’évêque de Soissons, Nivelon de Chérisy. Le partage est sans doute effectué selon les règles prévues en mars 1204 : un quart à l’empereur latin, trois huitièmes aux Vénitiens, trois huitièmes aux pèlerins, c’est-à-dire aux clercs de l’armée. À ces reliques « officielles » pourvues d’un certificat d’origine, s’ajoutent les apports privés de clercs ou de pèlerins isolés, qui, par achat ou par vol, se sont approprié des reliques, dont l’authenticité est sujette à caution [7] .

Le transfert en Occident des reliques prises à Constantinople est la grande affaire des deux premières décennies du XIIIe siècle. Il est le fait des croisés, des prêtres venus desservir temporairement les églises de Constantinople, de l’empereur latin lui-même. Robert de Clari rapporte à l’abbaye de Corbie une croix reliquaire de cristal et une croix processionnelle. L’acquisition majeure est réalisée par Saint Louis entre 1239 et 1241. Le roi se porte acquéreur des reliques de la Passion, conservées dans le trésor impérial de Constantinople et remises en gage par l’empereur latin, Baudouin II, auprès des Vénitiens. La Sainte-Chapelle, qu’il fait édifier de 1242 à 1247 pour abriter ce précieux trésor, devient dès lors le dépôt par excellence des reliques de la Passion en Occident. Loin d’accumuler, Saint Louis distribue aussi ses trésors sacrés aux églises du royaume qu’il veut honorer.

Les croisades, et en particulier la Quatrième, ont ainsi donné une grande ampleur au culte des reliques ; elles provoquent un transfert systématique des objets sacrés d’Orient en Occident ; elles suscitent aussi leur multiplication par translation, fragmentation ou simplement par contact. Leur dépôt dans les églises et monastères d’Occident bouleverse la carte et la hiérarchie des pèlerinages, dont l’essor est dû avant tout au culte des reliques. Pour les fidèles, le voyage aux Lieux saints de Syrie-Palestine devient peut-être moins indispensable, puisqu’ils peuvent désormais vénérer près de chez eux les reliques de la Passion du Christ et les souvenirs des martyrs et des saints.

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