Les Gaulois réfractaires demandent des comptes au Nouveau Monde by Phillipe de Villiers

Auteur:Phillipe de Villiers [Villiers, Phillipe de]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 978-2-213-71915-3
Éditeur: Fayard
Publié: 2020-06-01T16:00:00+00:00

16

En finir ?

Nous sommes en juin 2002 et je suis seul à la maison. En ce soir de cinéscénie, tout le monde est au spectacle du Puy-du-Fou. La maison est silencieuse, la nuit pas encore complètement tombée. Je n’allume pas les lumières. J’ai ouvert une bouteille de vodka et déjà descendu quelques verres. Sans même réfléchir, comme une évidence absolue, je me dirige vers la chambre de papa et maman. Je n’ai pas à chercher. C’est la première fois que je vais le prendre, mais je sais où il est. J’ouvre la penderie. Je pousse la rangée de costumes de papa. Au fond, posé dans sa housse de cuir, le fusil m’attend. Je mets quelques cartouches dans ma poche et repars dans ma chambre. J’allume ma petite lampe de chevet, juste pour glisser les cartouches dans l’arme. Je m’assois sur mon lit. Je ne vois plus rien. Je pleure, le fusil posé sur mes genoux. Je n’en peux plus. Personne ne peut m’aider. Je suis perdu. Je ne vois aucune autre solution. J’ai trop mal. Une douleur lancinante, toujours à l’affût, ressurgit chaque fois plus forte. Je déteste Guillaume. Le voir, agir comme si de rien n’était, sourire, faire bonne figure aux dîners de famille m’est insupportable. Ce malaise ne me quitte jamais. J’ai pourtant essayé d’oublier, de pardonner : impossible. Les mêmes images me reviennent en mémoire, quand je m’y attends le moins. Mes moments de bonheur sont invariablement gâchés par ce trouble lancinant. Même si tout s’est arrêté, la présence de Guillaume me glace. L’idée même de sa présence me rend malade. J’évite tous les contacts avec lui, mais un seul de ses regards me pétrifie. Une fois, je me suis retrouvé dans un café avec lui, en tête à tête. Au bout d’un quart d’heure, j’ai dû descendre aux toilettes vomir.

Pourtant, tout s’est arrêté. Durant quelques années, quelques mois, j’ai respiré, vécu comme si de rien n’était. Mais cette insouciance factice s’est vite envolée pour laisser place à un gouffre. Un abîme de douleur qui jamais ne se comble. Peut-être ne suis-je pas assez dévoué envers Dieu ? Peut-être suis-je une si mauvaise personne que je mérite mon sort ? Je me souviens, j’avais douze ans lorsqu’une petite fille de treize ans de ma connaissance est morte écrasée par un camion devant chez elle. Peu de temps après l’enterrement, alors que j’étais encore bouleversé, maman m’avait dit : « Tu vois, cette petite fille, je suis certaine qu’elle est au paradis. Dieu a choisi de la rappeler à lui car elle aurait sans doute mal tourné. Elle était très extravertie et se serait sûrement mal conduite avec les garçons plus tard. Tu sais, Laurent, quand des enfants meurent, c’est que c’est des personnes qui seraient devenues mauvaises en grandissant. Ce sont des enfants qui seraient devenus de méchantes personnes. »

Peut-être ai-je donc mérité cette souffrance ? Peut-être suis-je à mon tour une méchante personne ?

Comment sortir de cet enfer ? Je ne vois qu’une solution et elle repose sur mes genoux.

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