Les désirs et les jours by Dominique Marny

Les désirs et les jours by Dominique Marny

Auteur:Dominique Marny [Marny, Dominique]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: JC Lattès
Publié: 1993-01-02T00:00:00+00:00


29.

Hortense s’enferma dans son deuil. Gabrielle venait la voir quotidiennement. Elles parlaient de tout, de rien, une conversation légère qui permettait aux plaies de se cicatriser sans brutalité. Étienne n’avait pas regagné le domicile conjugal ; il habitait toujours son atelier où il travaillait parfois jusqu’à l’épuisement. Gabrielle recevait ses confidences... elle seule connaissait sa quête.

– J’ai envie de dépasser l’instant, de trouver une manière de montrer la nature dans son caractère éternel. Les saisons reviennent, les gestes se ressemblent et, pourtant, la différence existe, infime. Comment la capter ? Comment réunir l’éphémère et l’immuable ? Comment les faire percevoir ?

Concentré sur sa pensée, il déambulait à travers la pièce. Elle savait alors qu’elle n’était qu’un auditeur, choisi certes, mais que son opinion comptait peu. Étienne était en pleine mutation. Ses exigences grandissaient, sa peinture évoluait. Les toiles qu’elle avait sous les yeux en étaient la preuve. Villages écrasés de chaleur, fleurs entre les rocailles, bords de rivière, colporteurs, faneuses, immeubles parisiens pavoisés de drapeaux, leurs volumes étaient plus denses, leurs contours plus précis. Il lui parlait aussi de Théo Van Gogh qui appréciait ses recherches.

– J’aimerais tout de même que ses louanges se transforment en achats, lança-t-il en vidant sa pipe dans un cendrier.

– Sois tranquille... Il deviendra ton marchand !

– Tu essaies de me rassurer ?

– Je ne t’ai jamais menti.

– C’est exact.

– Je ne t’ai jamais menti, reprit Gabrielle, et jamais encensé à tort. Ta peinture est belle, forte et, si je ne le pensais pas, je me tairais.

– Ne te fâche pas, murmura-t-il en déposant un baiser sur sa tempe.

Puis il remarqua :

– Il y a longtemps que tu n’as posé pour moi !

Une semaine plus tard, Gabrielle, agenouillée sur un tapis et vêtue d’un kimono brodé de dragons, composait dans un vase de porcelaine un bouquet de chrysanthèmes. La posture était fatigante mais la composition du tableau, les couleurs valaient tous les efforts. Ses cheveux cuivrés à peine retenus par des peignes d’écaille, le vêtement légèrement entrouvert sur sa poitrine laissaient percer son intimité. Celui ou celle qui découvrirait la toile lorsqu’elle serait achevée aurait l’impression de vivre auprès du modèle, d’accéder à ses secrets car, au-delà de l’action, Étienne avait restitué l’un de ces moments uniques où, seul avec lui-même, le sujet s’abandonnait. L’attention extrême qu’il portait à cette femme, qui depuis une dizaine d’années occupait sa pensée, l’avait aidé à capter son évolution intérieure. Si l’on comparait cette image de Gabrielle à celles qu’elle lui avait inspirées précédemment il était évident que la force, la certitude, avaient balayé les ultimes traces de timidité. Elle savait ce qu’elle voulait et où elle se dirigeait. Malgré la douceur du geste, le maintien était ferme. Gabrielle avait atteint un degré dans la création où nul ne pouvait l’atteindre. Maîtresse de son univers, elle l’orchestrait à sa convenance. Le succès, d’ailleurs, ne tarderait pas à s’imposer. Étienne en était conscient et il en souffrait. Ce n’était pas de la jalousie mais la sensation de demeurer en arrière.



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