Les Bruits du souvenir by Sophie Astrabie

Les Bruits du souvenir by Sophie Astrabie

Auteur:Sophie Astrabie [Astrabie, Sophie]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Flammarion
Publié: 2022-02-17T10:05:51+00:00


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Septembre 1988

J’ai commencé à avoir des doutes. Plus j’y pensais, plus cette idée me paraissait complètement folle. Je ne voyais pas comment il était possible de duper tout le monde. Parfois, la nuit, je me réveillais en sueur, prisonnière de cette angoisse oppressante, incapable de me rendormir. J’aurais voulu faire marche arrière, retirer ce que j’avais dit, comme lorsqu’on est enfant et qu’on nous demande de le faire.

Mais je savais bien que c’était impossible. Même si cela n’avait duré qu’une seconde, j’avais donné un avenir à cet enfant. J’avais projeté qu’il vive. Revenir sur ma décision, cela revenait à le tuer.

Elle est venue s’installer à Toulouse et m’a proposé de vivre chez elle, dans l’appartement qu’elle louait près du pont des Demoiselles. Elle a pris un boulot dans un café la journée, et puis un second boulot dans un hôtel la nuit. Elle ne dormait que quelques heures mais cela lui était égal. Son seul objectif était de gagner suffisamment d’argent pour construire « la vie d’après ». Elle avait une énergie incroyable et une joie de vivre que je ne lui avais pas connues depuis des années. Quand elle croisait mon regard, quand elle voyait que je n’arrivais pas à sourire, quand elle devinait que mon silence n’était rien d’autre qu’une lourde inquiétude, elle me disait en souriant : « Tout va bien se passer. »

Un soir elle est rentrée avec une bombe de peinture et c’est ce qu’elle a écrit en lettres capitales sur l’horrible tapisserie de ma chambre. « TOUT VA BIEN SE PASSER. » Chaque matin quand je me réveillais, c’étaient les premiers mots que je lisais. Tout va bien se passer.

J’avais beau être inquiète, elle avait raison. Tout se passait bien. Mon corps ne changeait presque pas et je n’avais plus senti la moindre nausée depuis le week-end passé chez ma mère. C’était comme si cet enfant avait compris qu’il fallait rester discret.

Je continuais à aller en cours, vêtue de plus en plus souvent de vêtements sombres et amples. Bientôt, ils deviendraient mes habits de tous les jours. Je me répétais que les autres élèves devaient s’habituer, mais s’habituer à quoi ? C’était l’âge où tout le monde changeait en permanence. De tête, de vêtements, de corps. De personnalité. C’était l’âge où il était aussi facile de se faire remarquer que de passer inaperçue.

Non, ce que je redoutais le plus, c’était autre chose et cela faisait des semaines que je le repoussais : le rendez-vous chez un médecin.

La veille, elle a posé sa carte d’identité sur la table, une coloration pour cheveux et une paire de lunettes.

« Demain, quand tu iras chez le médecin, tu seras moi. Dès le départ, aux yeux du praticien, tu es Sylvie Perrin. Quant à Laurence Mercier, son identité, sa personne, son mètre soixante-cinq, son amour des livres, sa préférence pour les tartes au citron meringuées, elle n’aura jamais été enceinte. Il n’y aura que moi. Et il n’y aura jamais eu que moi.

— Et si on se fait prendre ?

— On ne se fera pas prendre.



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