Les abeilles by François Lepage

Auteur:François Lepage
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Éditions Triptyque
Publié: 2013-02-07T05:00:00+00:00

Variable aléatoire 3

Pierre Berthinet et sa sale histoire

À l’ombre du crucifix

Pierre Berthinet naquit à Montréal en 1947 de parents français dans des circonstances dont il n’allait connaître les détails que beaucoup plus tard. Par exemple, que son père s’était probablement suicidé dans sa cellule de la prison de Bordeaux du quartier du même nom de Montréal, le jour de sa naissance. Le gouvernement français avait demandé la déportation de Charles Berthinet pour crime de guerre.

Cadet de la famille – il avait quatre sœurs –, Pierre était un enfant modèle, élevé par une mère très stricte qui maniait à parts égales l’amour, le bâton et le crucifix. Le mythe du père, grand croyant et défenseur de la France éternelle, tué par les Juifs, les francs-maçons et les communistes, restait gravé dans son cœur d’enfant. Il fréquenta le collège Stanislas à Outremont où l’on s’aperçut très tôt qu’il était doué d’une intelligence hors du commun. Ses seuls camarades de jeu furent les enfants des amis de sa mère, tous de fervents catholiques fondamentalistes.

Ses plus beaux souvenirs allaient demeurer ceux des longues vacances d’été qu’il passait avec sa mère à Notre-Dame-du-Portage près de Rivière-du-Loup. Des amis de sa mère, les Saint-Germain, y avaient une immense maison dont la plus vielle partie et les fondations dataient de l’époque française. Cette maison était pour lui un château.

La première année, à la suite d’une blague de l’aîné des enfants Saint-Germain, il passa de longues heures à chercher dans les nombreuses pièces de la maison des traces du loup qui y aurait, paraît-il, séjourné.

— Quel loup ? s’était-il écrié au début, mi-apeuré, mi-incrédule.

— Le loup de Rivière-du-Loup, voyons !

Une des plus grandes pièces de la maison, qu’on appelait « la chapelle », était en effet transformée en chapelle. C’était une très grande salle, pleine d’arches faussement romanes, décorée dans la plus pure tradition rococo italien. La chapelle inspirait au jeune Pierre à la fois crainte et respect. Ce qui l’impressionnait le plus était la statue de la Vierge devant un vitrail éclairé par derrière, vêtue d’une robe bleue tissée de fils d’or, tenant sur son bras gauche le petit Jésus. Tous deux portaient une couronne d’or. À leurs pieds, deux enfants étaient agenouillés. L’un d’eux pointait de l’index de sa main droite le visage de la Vierge. Pierre s’identifiait à cet enfant éternellement silencieux. Il allait s’en inspirer plus tard.

Le dimanche matin, un abbé y venait dire la messe. Toutes ces phrases en latin presque chanté entraînaient son âme en des territoires inconnus, beaux et terrifiants. Après la messe, on se mettait à table où la principale activité des enfants était de se faire des grimaces, car ils n’avaient pas le droit de participer à quelque conversation que ce soit. Certains dimanches, ils étaient vingt à table, et la moitié des convives étaient des enfants.

Ces souvenirs communautaires, embellis par le temps, resteront gravés dans sa mémoire comme un idéal à reconstruire.

Télécharger

Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.