Le voyage d'Octavio by Bonnefoy Miguel

Le voyage d'Octavio by Bonnefoy Miguel

Auteur:Bonnefoy Miguel [Bonnefoy Miguel]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782743629427
Google: -ULXBQAAQBAJ
Éditeur: Rivages
Publié: 2015-01-12T23:00:00+00:00


XII

Par l’orée de la forêt, une femme et un homme arrivèrent jusqu’à la cabane. Ils expliquèrent qu’ils avaient longé les berges en remontant le courant, pensant que la source serait plus accueillante. Ils avaient gravi le talus de la montagne, atteint le sommet, et de là-haut avaient vu la mer, les îlots peuplés de mangroves.

– Nous avons cherché la source en vain, dit la femme. Aussi loin qu’on aille, les eaux sont tumultueuses. Nous avons jeté un rondin et il a été emporté avec une telle force que nous avons décidé de redescendre.

– Ce torrent n’a pas de source, répondit l’hôte.

– Tout fleuve a une source.

– Il est bordé de palétuviers et leurs graines germent alors qu’elles sont encore sur l’arbre. Lorsqu’elles se détachent, elles tombent près du pied. Alors un jeune palétuvier repousse à ses côtés, fait reculer la mer et disparaître les sources.

– Ce n’est que de l’eau, enfin, s’exaspéra la femme. Nous construirons un radeau.

– Elle vous noiera.

– Un pont alors.

– Le torrent augmentera ses crues d’une façon imprévisible. Il emportera vos premières planches.

– Il doit bien s’arrêter quelque part.

Don Octavio suivait la conversation en silence. Il se leva, s’approcha prudemment du groupe, en se tenant à distance, avec l’attitude d’un animal domestique.

– Moi, j’peux passer, dit-il.

– L’hôte se retourna avec surprise.

– De quoi parles-tu ?

– Mes jambes sont assez solides. J’sais que j’peux passer.

– Tu te noieras, imbécile.

Mais l’assurance de Don Octavio fit oublier pendant un instant la violence du torrent.

– J’me noierai pas, répondit-il. J’attach’rai une corde d’l’autre côté. Après, ce s’ra plus facile.

Aussitôt dit, il amarra une corde tressée de jonc et de crin au tronc du samane. Il entoura l’autre bout autour de ses reins et se chargea de grosses pierres qu’il prit sur ses épaules dans une nasse en osier.

– Plus j’serai lourd, plus il s’ra difficile de m’emporter.

Lorsqu’il fut à un mètre du torrent, l’eau fit battre ses flots, écumant, grossissant. Sur les berges, elle poussa des hurlements comme une armée. Don Octavio posa un pied sur une roche couverte d’algues. Le torrent redoubla de force, se creusa, fit des montagnes. L’hôte lui lança un bâton sur lequel il parvint à s’appuyer, cherchant l’équilibre, avant de poser l’autre pied. Ses jambes chancelantes résistaient, tâtonnaient parmi les galets pour éviter la profondeur, paraissaient déjouer comme par instinct l’architecture cachée.

Arrivé à mi-chemin, Octavio faillit être emporté. Une pierre bougea dans le fond et le fit vaciller. La femme poussa un cri depuis la rive, mais il put aussitôt se tenir au bâton, regagner sa stabilité et, avec un calme qui surprit ceux qui le regardaient, lutter sans fatigue. Il repartit de son pas de géant, de géant têtu, les reins sanglés de vigueur et de courage. L’eau lui creusait la taille, le vent lui rongeait le cou. Il avançait pourtant sans fléchir, livrant combat. Quelquefois, le torrent devenait si agressif qu’Octavio ne parvenait plus à continuer. Sous les vagues dévorantes, il se tordait en attendant une baisse des crues, recroquevillé, les bras en croix sur sa poitrine, puis reprenait d’un pas lourd, le corps remué d’une énergie brusque.



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