Le Scaphandre et le papillon by Jean-Dominique Bauby

Le Scaphandre et le papillon by Jean-Dominique Bauby

Auteur:Jean-Dominique Bauby [Bauby, Jean-Dominique]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Récits
Publié: 2011-02-15T23:00:00+00:00


Le rideau

Recroquevillé sur le fauteuil que leur mère pousse le long des couloirs de l’hôpital, j’observe mes enfants à la dérobée. Si je suis devenu un père quelque peu zombie, Théophile et Céleste, eux, sont bien réels, remuants et râleurs, et je ne me lasse pas de les regarder marcher, simplement marcher, à côté de moi en masquant sous un air assuré le malaise qui voûte leurs petites épaules. Avec des serviettes en papier, Théophile essuie, tout en marchant, les filets de salive qui s’écoulent de mes lèvres closes. Son geste est furtif, à la fois tendre et craintif comme s’il était en face d’un animal aux réactions imprévisibles. Dès que nous ralentissons, Céleste m’enserre la tête entre ses bras nus, couvre mon front de baisers sonores et répète :

« C’est mon papa, c’est mon papa », à la manière d’une incantation.

On célèbre la fête des pères. Jusqu’à mon accident nous n’éprouvions pas le besoin d’inscrire ce rendez-vous forcé à notre calendrier affectif, mais, là, nous passons ensemble toute cette journée symbolique pour attester, sans doute, qu’une ébauche, une ombre, un bout de papa, c’est encore un papa. Je suis partagé entre la joie de les voir vivre, bouger, rire ou pleurer pendant quelques heures, et la crainte que le spectacle de toutes ces détresses, à commencer par la mienne, ne soit pas la distraction idéale pour un garçon de dix ans et sa petite sœur de huit, même si nous avons pris en famille la sage décision de ne rien édulcorer.

Nous nous installons au Beach Club. J’appelle ainsi une parcelle de dune ouverte au soleil et au vent où l’administration a eu l’obligeance de disposer tables, chaises et parasols et même de semer quelques boutons d’or qui poussent dans le sable au milieu des herbes folles. Dans ce sas situé au bord de la plage, entre l’hôpital et la vraie vie, on peut rêver qu’une bonne fée va transformer tous les fauteuils roulants en chars à voile. « Tu fais un pendu ? » demande Théophile, et je lui répondrais volontiers qu’il me suffit déjà de faire le paralysé, si mon système de communication n’interdisait les répliques à l’emporte-pièce. Le trait le plus fin s’émousse et tombe à plat quand il faut plusieurs minutes pour l’ajuster. À l’arrivée on ne

comprend plus très bien soi-même ce qui paraissait si amusant avant de le dicter laborieusement lettre par lettre. La règle est donc d’éviter les saillies intempestives. Cela enlève à la conversation son écume vif-argent, ces bons mots qu’on se relance comme une balle sur un fronton, et je compte ce manque forcé d’humour parmi les inconvénients de mon état.

Enfin, va pour un pendu, le sport national des classes de septième.

Je trouve un mot, un autre, puis cale sur un troisième. En fait, je n’ai pas la tête au jeu. Une onde de chagrin m’a envahi, Théophile, mon fils, est là sagement assis, son visage à cinquante centimètres de mon visage, et moi, son père, je n’ai pas le simple droit



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.