Le Roi de fer by Druon Maurice

Le Roi de fer by Druon Maurice

Auteur:Druon, Maurice [Druon, Maurice]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Historique
ISBN: 9782253011019
Éditeur: Le livre de poche, Historique
Publié: 1955-01-18T23:00:00+00:00


VII

TEL PÈRE, TELLE FILLE

Un chandelier d’argent niellé, sommé d’un gros cierge entouré d’une couronne de chandelles, éclairait sur la table la liasse de parchemins dont le roi venait d’achever l’examen. De l’autre côté des fenêtres, le parc se dissolvait dans le crépuscule ; Isabelle, le visage tourné vers la nuit, regardait l’ombre prendre les arbres un à un.

Depuis Blanche de Castille, Maubuisson, aux abords de Pontoise, était demeure royale et Philippe le Bel en avait fait l’une de ses résidences habituelles. Il avait du goût pour ce domaine silencieux, clos de hautes murailles, pour son parc, et pour son abbaye où des sœurs bénédictines menaient une vie paisible rythmée par les offices religieux. Le château lui-même n’était pas grand ; mais Philippe le Bel en appréciait le calme.

— C’est là que je prends conseil de moi, avait-il déclaré un jour.

Il y habitait avec sa famille et une cour réduite.

Isabelle était arrivée l’après-midi, au terme de son voyage. Elle avait abordé ses trois belles-sœurs, Marguerite, Jeanne et Blanche, avec un visage parfaitement souriant, et répondu d’un ton de circonstance à leurs paroles d’accueil.

Le souper avait été bref. Et maintenant Isabelle était enfermée tête à tête avec son père dans la pièce où il aimait à s’isoler. Le roi Philippe l’observait de ce regard glacé dont il contemplait toute créature humaine, fût-ce sa propre enfant. Il attendait qu’elle parlât ; elle n’osait pas. « Je vais lui faire tant de mal », pensait-elle. Et soudain, à cause de cette présence, de ce parc, de ces arbres, de ce silence, il vint à Isabelle une grande bouffée de souvenirs d’enfance, en même temps que de pitié pour elle-même.

— Mon père, dit-elle, mon père, je suis malheureuse. Ah ! Comme la France me semble loin depuis que je suis reine d’Angleterre ! Et comme j’ai le regret des jours qui ne sont plus !

Elle eut à se défendre contre la tentation des larmes.

— Est-ce pour m’informer de ceci, Isabelle, que vous avez entrepris ce long voyage ? demanda le roi d’une voix sans chaleur.

— Si ce n’est à mon père, à qui dirai-je que je n’ai pas de bonheur ? répondit-elle.

Le roi regarda la fenêtre, maintenant obscure, et dont le vent faisait vibrer les vitraux ; puis il regarda les chandelles, puis le feu.

— Le bonheur… dit-il lentement. Qu’est-ce donc que le bonheur, ma fille, sinon de convenir à notre destinée ?

Ils étaient assis face à face sur des sièges de chêne.

— Je suis reine, il est vrai, dit-elle à voix basse. Mais est-ce qu’on me traite en reine là-bas ?

— Vous fait-on du tort ?

Il avait mis peu de surprise dans sa question, sachant trop ce qu’elle allait répondre.

— Ignorez-vous à qui vous m’avez mariée ? dit-elle. Est-ce un mari, celui qui déserte mon lit depuis le premier jour ? À qui ni les soins, ni les égards, ni les sourires qui lui viennent de moi, n’arrachent un mot ? Qui me fuit comme si j’étais affligée de la lèpre et distribue, non



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