Le quai des secrets by Brigitte Coppin

Auteur:Brigitte Coppin [Coppin, Brigitte]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Jeunesse
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00

Chapitre 7

La fête qui célébrait le retour des marins avait ses rites.

Le sire de Mauriencourt, fier de presser le meilleur cidre de la région, en offrait une pleine barrique tandis que Louis Lebesque faisait cuisiner par Thomassine deux chaudrons de soupe de poisson ; la vieille servante mettait ce jour-là son plus beau, tablier pour servir elle-même les premières louches. Le quai devant l’auberge avait été nettoyé avec soin et l’Angèle prêtait deux escabeaux pour les musiciens : le joueur de cornemuse et le joueur de vielle qui feraient bientôt trépigner les danseurs. La fête commençait par une procession d’action de grâces, menée avec autorité par le père Anselme. Mais cette année, les cœurs n’y étaient pas. Personne n’oubliait qu’il faudrait, demain, porter Pierre Letourneur en terre. Marie, sa veuve, avait le regard perdu au loin comme si elle avait déjà, elle aussi, quitté le monde des vivants. L’on murmurait autour d’elle que le malheur était tombé sur le village, qu’une mauvaise âme avait détourné le regard de Dieu et le père Anselme hochait gravement la tête.

Mais il faisait beau et ceux qui étaient rentrés vivants savaient que la pêche cette année paierait bien, que Louis Lebesque ne trichait jamais sur la part de chacun. Arrivée près de l’auberge, la procession se dispersa rapidement. Les jeunes tapaient déjà du pied pour faire venir les musiciens qui buvaient une dernière chopine. Filles d’un côté, garçons de l’autre, les deux groupes se dévisageaient ; ceux qui n’avaient pas retenu la première danse cherchaient un partenaire afin de ne pas rester les bras ballants quand la musique commencerait. Catherine rôdait alentour sans se montrer encore. Elle avait remarqué que Madeleine n’était pas encore arrivée et elle ne voulait surtout pas donner à Petit Louis l’impression qu’elle l’attendait. Depuis plusieurs jours, elle avait décidé qu’elle ne mettrait pas sa robe du dimanche, comme feraient toutes les autres filles, ni même un bijou dans l’arrondi de la chemise. Pas question de ressembler à Madeleine ! Au dernier moment, pourtant, elle avait noué dans sa chevelure un ruban à la couleur de ses yeux et serré autour de sa taille une belle ceinture brodée, offerte par sa mère. Ainsi parée, elle avait jugé qu’elle était acceptable. Comme c’était difficile de se trouver belle !

Le cornemuseux remplit d’air son instrument, ajusta le chalumeau26 sur ses lèvres.

Les danseurs l’acclamèrent puis s’empoignèrent.

Les sabots claquèrent sur le sol.

Petit Louis allait perdre le sourire qu’il affichait devant tous lorsque Catherine apparut. Il sursauta. Il ne l’avait pas vue venir. Décidément, cette fille ne ressemblait pas aux autres ! Elle fit une courbette et tendit la main. Il la prit par la taille, l’entraînant au milieu des autres. Elle ne portait pas de sabots mais des souliers de cuir et cela lui donnait de la légèreté. Même si elle ne savait pas à quel moment poser le talon ou pointer les orteils, elle sautillait avec grâce, toute chevrette qu’elle était, et Petit Louis à côté d’elle paraissait lourd. Peu à peu, elle se laissa prendre par le rythme.

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