Le Portrait by Nicolas Gogol

Auteur:Nicolas Gogol [Gogol, Nicolas]
La langue: fra
Format: epub
Tags: littérature russe
Éditeur: Fayard/Mille et une nuits
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00

« Mon Dieu, qu'il est tard!

– Encore un tout petit peu! » suppliait Tchartkov d'une voix naïve, comme le ferait un enfant.

Mais la dame n'était nullement disposée à satisfaire, pour cette fois, ses exigences artistiques et lui promit, en revanche, de rester davantage une autre fois.

« C'est tout de même fâcheux, se disait Tchartkov. Je commençais seulement à me mettre en train. » Il se rappela que lorsqu'il travaillait dans son atelier dans l'île Vassilievski, personne ne le contrariait ni ne l'interrompait dans son travail; Nikita pouvait rester sans bouger autant qu'il le voulait; il lui arrivait même de s'endormir dans cette position. Mécontent, le peintre reposa son pinceau et sa palette sur une chaise et s'arrêta devant sa toile, l'esprit ailleurs. Un compliment de la dame le tira de ses rêveries. Il se précipita pour reconduire ses clientes jusqu'à la porte; en descendant l'escalier, il fut invité à leur rendre visite, un dîner fut fixé pour la semaine suivante et il retourna dans sa chambre tout guilleret. La dame du monde l'avait entièrement captivé. Jusqu'alors ces créatures lui avaient paru inaccessibles : elles n'étaient nées que pour passer comme une flèche dans leur carrosse, avec leurs cochers fringants et leurs valets en livrée, et jeter un coup d'œil indifférent sur le piéton qui se traînait, enveloppé dans son méchant pardessus. Et voici qu'une de ces créatures avait pénétré dans sa chambre; il faisait le portrait de sa fille; il était invité à dîner dans une maison aristocratique! Un sentiment de bonheur extraordinaire l'envahit; comblé de joie, il s'offrit pour récompense un bon dîner, passa la soirée au spectacle et parcourut de nouveau la ville en fiacre, sans la moindre nécessité.

Tous les jours suivants, il n'eut guère l'esprit à travailler. Il ne fit que se préparer, qu'attendre le moment où on sonnerait à sa porte. Enfin la dame et sa fille pâlotte arrivèrent. Il les fit asseoir, approcha le chevalet, cette fois avec adresse et avec une prétention à des manières mondaines, et se mit à peindre. La journée ensoleillée, la vive lumière lui furent d'un grand secours. Il aperçut dans son fragile modèle bien des nuances qui, une fois saisies et rendues sur la toile, auraient pu conférer une grande valeur au portrait; il vit qu'il pourrait faire quelque chose d'exceptionnel s'il traduisait dans toute sa perfection ce que la nature lui représentait. Il sentit même son cœur frémir lorsqu'il se persuada qu'il pourrait exprimer ce que les autres n'avaient encore jamais remarqué. Son travail l'absorba entièrement; il se plongea tout entier dans son pinceau, oubliant l'origine aristocratique de son modèle. Le souffle coupé, il voyait apparaître sur sa toile les traits délicats et ce corps presque transparent d'une jeune fille de dix-sept ans. Il s'emparait de la moindre nuance, d'une demi-teinte jaune, de cernes bleutés, presque imperceptibles, et s'apprêtait déjà à saisir un petit bouton qui avait poussé sur le front de son modèle quand il entendit soudain, au-dessus de lui, la voix de la mère:

« Ah, mais non, pourquoi cela? C'est inutile.

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