Le lâche by Unknown

Auteur:Unknown
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Métailié
Publié: 2022-08-19T00:00:00+00:00

29

Lors d’un entretien d’embauche pour un emploi de classement et de saisie de données pour une entreprise d’usinage, la voix aiguë et nasale de la recruteuse m’a agacé. Depuis des semaines, mon dos me faisait constamment souffrir et je n’avais plus la patience de faire comme si on pouvait même songer à m’engager. En réponse à ses questions sur “les trous dans mon CV”, j’ai lâché lentement un long grognement, fait rouler mes yeux dans leurs orbites et suis resté la bouche ouverte une bonne minute.

La recruteuse m’a ramené dans le hall en poussant mon fauteuil tandis que je riais sous cape, dissimulant mon hilarité sous des gémissements. Elle s’est dépêchée de passer une porte qu’elle avait déverrouillée au moyen du badge d’identité suspendu à son cou.

– L’ambulance arrive tout de suite, a dit l’agent de sécurité.

Je me suis redressé pour soigner ma sortie, la plaisanterie ayant assez duré, mais une douleur cuisante, authentique celle-là, m’a coupé en deux.

Quand Tweedledee et Tweedledum, un duo d’ambulanciers jumeaux tout droit sortis d’Alice au pays des merveilles, ont fait franchir les portes automatiques à mon brancard, j’étais déjà recroquevillé et je me tenais l’abdomen pour le protéger de tentacules chauffés à blanc qui tenaillaient des organes dont je ne connaissais même pas l’existence.

– Je vais m’évanouir, j’ai annoncé. Je n’ai eu qu’à peine conscience du trajet vers l’hôpital et de l’admission, sauf par intervalles fugitifs, avant de retomber dans l’obscurité : les secousses quand on a chargé le brancard à l’arrière de l’ambulance, la sirène qui vagissait au-dessus de moi pendant qu’un des jumeaux remplissait un formulaire, le dérapage dans un virage pris trop vite, le souffle glacé de l’air conditionné tandis que nous traversions les couloirs, une belle femme en blouse blanche qui m’a demandé où j’avais mal, un appareil blanc et borgne qui ronronnait au-dessus de moi, le silence immobile et les innombrables trous noirs.

– Monsieur, est-ce que vous pouvez retirer vous-même votre pantalon ? Il faut qu’on vérifie votre petit robinet et la plomberie autour, a dit un vieux monsieur à l’accent texan prononcé, armé d’un stéthoscope.

– Docteur, je préfère qu’on emploie des mots d’origine latine quand un inconnu s’apprête à examiner mes organes génitaux.

– Comme vous voudrez. Besoin d’aide pour le caleçon ?

Jack est entré dans ma chambre en compagnie d’une infirmière qui lui fournissait des explications.

– Votre fils a des calculs vésicaux et il a ressenti les douleurs correspondantes, mais il les a attribuées à sa lésion de la moelle épinière et au stress. L’opération était très simple et aucune complication n’a été enregistrée.

– Ben si je m’attendais à cette visite ! je me suis exclamé.

– Mr. McGinnis, m’a-t-elle annoncé. Vous pourrez sortir dès que vous vous en sentirez capable. Il faut vous attendre à des douleurs assez aiguës. Vous pouvez en prendre deux toutes les quatre heures, a-t-elle ajouté en secouant un flacon de comprimés.

– Quatre toutes les deux heures, c’est compris, j’ai répondu en adressant un clin d’œil à Jack.

– Non, deux comprimés, quatre heures. Pas plus de huit par vingt-quatre heures.

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