Le Journal Intime D'Un Arbre by Didier Van Cauwelaert

Le Journal Intime D'Un Arbre by Didier Van Cauwelaert

Auteur:Didier Van Cauwelaert [Didier Van Cauwelaert]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


LE LIBÉRATEUR

Les ruptures en chaîne ont déclenché l’alerte dans mes ramures. Ce n’est pas le vent qui vient de casser mes plus hautes branches ; c’est un choc vertical, une masse tombée du ciel. Et un voile à cordages recouvre à présent mon faîte, comme ces filets anti-oiseaux sur les petits pommiers derrière la chaumière.

Qu’est-ce qui se passe ? La situation est nouvelle, la cause inconnue ; ce n’est pas un phénomène naturel ni une attaque humaine de type bûcheron, ni un accident de chasse comme le héron abattu jadis par cette calamité de général Mercier. Dans la mémoire de mes traumatismes, si je recherche par analogie, ça commence comme une pluie d’énormes grêlons et ça finit comme un pendu.

C’est mon premier parachutiste.

L’inventaire des dommages subis se mêle aux vibrations de souffrance de mon agresseur. Des lumières s’allument. Georges et Jacqueline Lannes jaillissent de la chaumière en pyjama, vont chercher des échelles, des cisailles, des râteaux. Ils décrochent l’intrus qui gigote, entortillé comme un rôti, tranchent les ficelles, puis ils essaient de tirer avec les râteaux pour faire descendre la toile coincée dans les branches.

— Mais qu’est-ce qu’il vient foutre ici ? regimbe Jacqueline. On n’a peut-être pas assez d’ennuis !

— English, chuchote comme une circonstance atténuante le gros homme roux qui se tord de douleur sur le gazon. Où sommes-nous ?

— A six cents mètres de la Kommandantur, réplique Jacqueline d’un ton aigre.

— Résistance ? traduit le parachuté avec un espoir anxieux.

— Passive, prévient-elle en tournant un regard noir vers Georges qui, en temps de guerre comme en temps de paix occupée, soigne tout ce qui souffre.

Le petit Jacques, réveillé par le bruit, accourt aux nouvelles. Son père lui explique la situation et ce qu’il attend de lui, comme s’il parlait à un interne de son service. L’époque n’est pas aux rêveurs : il voudrait que le gamin soit premier à l’école, doué pour les sciences, champion de tennis, qu’il venge son pays...

Jacques est aux anges. Enfin on lui demande quelque chose dans ses cordes ! Habitué à m’escalader, il grimpe de branche en branche pour décrocher le parachute.

Pendant ce temps, les Lannes essaient de soulever l’obèse dont les jambes ne répondent plus. De guerre lasse, ils vont chercher la brouette pour le transporter dans la maison. C’est dans cette chaise à porteurs version champêtre que l’espèce de gros scarabée renversé demande sur un ton presque mondain :

— Vous avez vu les autres ?

— Quels autres ?

— Nous sommes cinq à avoir sauté.

Le docteur fait non de la tête, l’aide à s’extraire de la brouette stationnée au milieu du salon.

— Je suis bien à Sainte-Claire-sur-Bage ?

— Non. C’est à soixante kilomètres à l’ouest.

— Shit ! Je pense que j’ai brisé mes jambes et je ne vois plus rien de l’œil gauche. Trouvez-moi des vêtements et conduisez-moi à l’hôpital. Vous ne risquez rien : je parle couramment allemand.

Le couple dévisage ce colosse roux à moustache en guidon, qui ressemble autant à un Teuton que moi à un platane.

— La cave ! ordonne Jacqueline à son mari.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.