Le Graal de fer by Robert Holdstock

Auteur:Robert Holdstock [Holdstock, Robert]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fantasy
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00

13

Assiégés

L’esprit-écho d’Argo, ce compagnon réconfortant, s’éloigna sans bruit de la rive et fut aspiré dans le corps du navire, le bois se fondant dans le bois, les temps anciens dans le présent. J’étais triste de le voir partir, mais je savais qu’Argo était heureux de le réintégrer. Jason était perché à la poupe et scrutait la nuit à la recherche de l’ombre de cet homme qu’il soupçonnait de l’épier. Puis il lança un ordre et Argo fut libéré de ses amarres. Nantosuelta l’emporta vers la rive proche de la vie et des vivants ; les rames s’élevèrent et s’abattirent en cadence ; mon vieil ami Rubobostes marquait le rythme avec des grognements tout en tenant la barre. À la proue, la mince silhouette sombre de Niiv était ramassée sur elle-même comme un chat prêt à bondir, aussi immobile que la mort, guettant le moment propice.

Argo disparut de ma vue sur la rivière séparant les deux mondes et je fus contraint de considérer une réalité plus pressante : comment retourner à Taurovinda avant que Jason et son équipage de mercenaires n’atteignent la forteresse.

J’avais compté sans Mielikki. Elle avait dû ralentir le voyage sur la rivière, peut-être parce qu’elle éprouvait plus de sympathie pour moi, créature éternelle comme elle, que pour Jason, dont les motivations étaient plus personnelles, intimes, agressives et grossières. Quoi qu’il en soit, après plusieurs jours passés à courir dans les vallées, les forêts et les passes étroites qui s’étendaient entre le Pays Fantôme et Taurovinda, j’aperçus enfin la colline, avec ses feux, ses bannières et ses statues de bois dressées au sommet des remparts, signal clair qu’Urtha régnait toujours sur son foyer ancestral.

Mais la citadelle était assiégée.

Pendant mon voyage, j’avais été dépassé par une longue colonne que j’estimai être composée de ceux à naître. Ils montaient de robustes chevaux et étaient enveloppés de couleurs unies, rouge ou vert, plutôt que des motifs élaborés des morts. Leur épée était rangée dans un fourreau ouvragé d’or, et ils portaient une unique lance à hampe épaisse, non ces poignées de fines javelines dont Urtha et ses prédécesseurs préféraient l’usage.

Leur bouclier affectant la forme d’un ovale étroit était accroché au flanc de leur destrier. J’en avais appris assez sur le Pays Fantôme pour reconnaître un escadron de ces futurs seigneurs de guerre.

Je m’étais dissimulé à leur passage, mais leur présence ne charriait aucune menace perceptible.

Puis une bande forte d’une vingtaine de guerriers venus des rangs des morts, nus et bariolés de peintures, cliquetant d’anneaux en os et en bronze à leurs bras, leurs chevilles et leurs oreilles, suivirent en trottant à pied. Pourvoyeurs de festins macabres, ils étaient poursuivis par les ombres des corbeaux, en vol compact, qui les épiaient.

Image même de la cruauté brutale, ce parti guerrier semblait évoluer dans un monde aux sens ouatés, conscient de ma présence sans pourtant me voir. Il traversa la forêt telle l’humidité sur un vent froid. Presque dès son apparition il se dissipa dans le paysage, mais je fus en mesure de le suivre des jours durant, à la trouée de destruction qu’il laissa dans les bois.

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