Le Ghetto intérieur by Amigorena Santiago H

Auteur:Amigorena Santiago H [Amigorena Santiago H]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782818047828
Google: oqOdDwAAQBAJ
Éditeur: P.O.L
Publié: 2019-08-20T22:00:00+00:00

La réalité en Europe, en juillet 1942, était encore pire que ce que décrivait l’article du Daily Telegraph. Les chambres à gaz mobiles (la première génération de camions camouflés en véhicules de la compagnie de café Kaisers-Kaffee, puis la deuxième génération, des camions de 2,5 et 3 tonnes pouvant contenir entre trente et cinquante personnes et des 5 tonnes où l’on pouvait charger, debout et bien tassés, jusqu’à soixante-dix victimes, avec des caisses hermétiques spéciales où se déversaient directement les gaz d’échappement) avaient été remplacées par des chambres à gaz fixes qui fonctionnaient déjà, depuis les mois de mars et avril, dans les camps d’extermination de Bełżec, Chełmno et Auschwitz. Et le jour du huitième anniversaire de la fille aînée de Vicente, le 19 juillet 1942, Himmler avait signé l’ordre de déclencher l’opération Reinhard, dont le but était qu’il n’y ait plus aucune personne d’ascendance juive dans le Gouvernement général avant le 31 décembre.

À Varsovie, les Allemands avaient commencé par promettre du pain et de la confiture aux habitants du ghetto qui accepteraient d’être évacués vers des camps de travail, et plusieurs milliers d’entre eux avaient répondu à l’appel. Puis, pendant tout l’été 1942, ils avaient entamé ce qu’ils avaient appelé « le repeuplement vers l’Est » – et qui était en fait la déportation de tous les Juifs du ghetto vers le camp d’extermination de Treblinka II. Cette autre opération, connue sous le nom de Großaktion (la Grande Action), avait débuté le 22 juillet. Pendant huit semaines, à peu près sept mille personnes étaient déportées chaque jour. Les rafles dans le ghetto se faisaient de jour comme de nuit, aussi bien dans les habitations que dans les rues. Les Juifs étaient emmenés vers la gare de triage de Varsovie, puis en train jusqu’au camp de Treblinka, situé à 80 kilomètres, qu’on leur présentait comme une gare de transit et d’où on leur faisait croire qu’ils seraient transférés, après avoir été désinfectés, vers des camps de travail situés encore plus à l’Est. Le chemin qui menait vers les « douches » – et que devaient emprunter, durant l’été 1942, plus de trois cent mille Juifs du ghetto de Varsovie, puis, dans les mois qui ont suivi, plus de quatre cent cinquante mille Juifs des districts de Radom, Lublin et Białystok – avait été appelé, par les nazis, Himmelstrasse, « le chemin du ciel ».

Juillet, août 1942. Pendant ce temps, à Buenos Aires, les semaines inconsistantes de l’hiver austral défilaient et Vicente n’avait plus aucune nouvelle de sa mère. Il jouait au poker nuit après nuit jusqu’à l’aube et ne se réveillait jamais avant deux ou trois heures de l’après-midi. Il sortait de la chambre, allait dans la salle de bains, se rinçait le visage, prenait rapidement un café, embrassait ses enfants du bout des lèvres comme ils rentraient de l’école, puis se rendait dans le magasin pour vérifier si le nouveau vendeur qu’il avait engagé, Yorgos, un Grec d’une cinquantaine d’années, avait vendu quelque chose. Pour ne plus penser à

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