Le fanatisme de l'Apocalypse by Bruckner

Le fanatisme de l'Apocalypse by Bruckner

Auteur:Bruckner
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature
Éditeur: Grasset
Publié: 2010-02-13T05:00:00+00:00


2) ZOOPHILIE THÉORIQUE ET PRATIQUE

Nous ne croyons plus que la création soit mise au service de l’homme pour le divertir ou le nourrir ; nous ne punissons plus de la peine de mort les chevaux, ours, cochons coupables d’homicides118. Nous ne croyons plus que l’animalité hante les asiles de fous, les classes pauvres, les sauvages ou les mendiants. Nous punissons à juste titre toute manifestation de cruauté envers nos « frères inférieurs ». Nous cherchons désormais à combler le fossé qui nous sépare des bêtes, savoir si elles sont mues par l’instinct ou la raison, aptes au dressage, voire si elles pourront un jour, comme certains grands singes, apprendre la parole et combiner cent à deux cents mots. Nous partageons avec elles une communauté de destin, leur joie nous ravit, leur douleur nous navre. Constamment exploité, battu, chassé comme une ressource inépuisable, l’animal fut en même temps valorisé, promu comme compagnon. La mise en coupe réglée de nombreuses espèces se paye de la promotion de quelques autres, prélevées à titre de tribut, avec lesquelles nous dialoguons et cohabitons. Nous avons attaché à nos existences chats, chiens, canaris, pinsons, chevaux, souvent mieux traités que les êtres humains (et posant dans les agglomérations des problèmes importants de déjections). L’obsession canine dans l’aristocratie anglaise, par exemple, férue de chasse et hantée par le souci du pedigree, la lente promotion du chat depuis le Moyen Age, d’abord décrié comme satanique puis intégré à la sphère familiale comme dieu lare, marquent cette élévation de quelques races au détriment des autres. L’engouement pour les félins et leur beauté nonchalante, le goût des volières, des bêtes exotiques tiennent du sentimentalisme et de l’esthétique. Cette zoolâtrie sélective, l’amour démesuré d’un siamois, d’un bouledogue, d’un étalon dégénère parfois en misanthropie et peut s’accommoder d’une férocité inouïe à l’égard d’autres animaux. Le quadrupède, le volatile auront toujours cet avantage sur nos frères humains qu’ils ne parlent pas et semblent acquiescer par leur mutisme à nos moindres propos. Schopenhauer, grand misanthrope sous l’Eternel et fondateur de la SPA à Francfort, adorait son caniche. Quand ce dernier l’exaspérait, il le traitait de « Mensch », c’est-à-dire : espèce d’homme !

La ménagerie domestique d’un peuple en dit long sur sa mentalité. Il y aura toujours des originaux pour élever ces bêtes que le sens commun récuse, rats, vermines, serpents, mygales, corbeaux. Il n’est pas de rapports apaisés, sereins avec la gent animale, que des toquades, des répulsions. Nous vivons depuis un siècle une redéfinition passionnante des barrières qui séparent l’homme de l’animal, le sauvage du domestique. Toute une tradition enfouie, d’Ovide jusqu’à saint François d’Assise, se trouve ainsi exhumée, réexaminée. Une réflexion se développe chez les éthologues, les neurologues, les philosophes qui redistribuent les anciennes lignes. L’animal est doué lui aussi, dans certaines limites, de perfectibilité, il peut basculer dans une certaine forme d’humanisation comme l’homme peut verser dans l’animalité. Nous sommes loin pourtant de la réconciliation promise par les Evangiles : ce grand brouillage ne veut pas dire que l’harmonie régnera, que



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