Le dernier poilu. Lazare Ponticelli by Véronique Fourcade

Auteur:Véronique Fourcade [Fourcade, Véronique]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Biographie, Première Guerre mondiale
ISBN: 9782234062832
Éditeur: Stock
Publié: 2008-10-21T22:00:00+00:00

Au diable l’empereur

À son arrivée au Frioul où il est envoyé, Lazare est entouré de gars de la région. Ils sont familiers du climat, contrairement à lui, et le conseillent pour que ses pieds ne gèlent pas :

« Tu mets deux paires de chaussettes, et surtout tu ne serres pas les lacets. »

Ils lui apprennent aussi les rudiments du ski puisqu’il faut s’affubler de ces grandes planches pour patrouiller sur les crêtes du mont Pal Piccolo.

L’avantage, c’est que les camarades de Lazare connaissent parfaitement ceux d’en face : ils parlent le même langage, ont toujours commercé avec eux et vécu en bonne entente.

« Mais alors, pourquoi on se bat contre eux ? demande Lazare.

– C’est à cause de l’empereur d’Autriche. »

L’explication est un peu courte pour convaincre Lazare.

« Et il est là, en face, l’empereur d’Autriche ? Non ! C’est un type comme toi, un pauvre père de famille qui risque de crever là en laissant une femme et des gosses. »

Lazare n’a pas à faire de prosélytisme sur sa vision des choses : tout le monde est largement convaincu que c’est idiot de se tirer dessus comme ça. D’ailleurs, de l’autre côté, ils pensent probablement pareil, qui sait ?

« On n’a qu’à leur demander !

– Ah oui, tu irais, toi ? Tu vas voir quand tu vas sortir ta gueule, comme ils vont l’arroser ! »

Lazare n’est pas du genre à renoncer si vite. Il faudrait pouvoir leur parler, à ceux d’en face... Ils sont pas si loin, peut-être même qu’ils les entendent ?

Lazare suggère de leur écrire. Il suffit d’entourer des cailloux avec des messages et de les leur jeter.

Certaines missives sont envoyées en italien, d’autres en allemand.

Certaines interrogent :

« Pourquoi on se bat ? »

D’autres suggèrent :

« À quoi ça sert de se battre, on se connaît pas. »

Les cailloux ont du mal à atteindre leur cible. Lazare cherche à fabriquer une fronde avec ses bretelles. Trop molles, elles ne donnent pas l’impulsion suffisante.

« Si seulement on avait des gros élastiques, je suis sûr que ça marcherait. »

Au ravitaillement suivant, des élastiques sont livrés, officiellement pour fixer des toiles de protection sur la tranchée. Cinq ou six sont attachés entre eux, les deux extrémités de la bande sont tenues chacune par un soldat pendant qu’un troisième tend l’élastique.

Après quelques essais, le premier projectile semble avoir atteint son but. Pour pouvoir tirer plus facilement, Lazare et ses copains poussent le canon au bout de la tranchée. Les jours suivants, ils continuent d’expédier leurs messages plutôt que de remettre le canon en position. On ne tire plus en face non plus. Au bout de quelques jours, un des Alpinis veut tenter une sortie, encouragé par le soleil levant qui fait pétiller les pentes enneigées.

« Ça fait une semaine qu’on n’a pas entendu un coup de feu. Je vais sortir, on verra bien ! »

Le courageux, originaire de Bolzana, parle aussi bien allemand qu’italien. Il sait aussi le ladin, le dialecte des vallées du Sud tyrolien. Il grimpe sur le remblai, puis se lève sans hâte.

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