Le Chagrin by Lionel DUROY

Auteur:Lionel DUROY
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Julliard
Publié: 2013-07-23T16:00:00+00:00

22.

Un jour d’octobre, je me décide à la rappeler. J’ai beaucoup attendu, je ne suis pas sûr qu’elle n’ait pas commencé à m’oublier. Elle semble se demander quand est-ce que je pourrais bien passer, et puis finalement me propose le dimanche après-midi suivant.

Les Le Guen habitent le domaine Saint-François-d’Assise, sur le plateau de La Celle-Saint-Cloud. Ce sont des maisons particulières, construites au milieu de jardins non clos, sur le modèle américain, dit-on, de sorte qu’on peut aller librement de l’une à l’autre en traversant de vastes étendues de gazon où l’on croise ici ou là un saule pleureur, un cèdre blanc, un bosquet de peupliers, et des enfants en train de jouer au ballon prisonnier surveillés de loin par des parents qu’on devine allongés sur des transats et occupés à prendre le café sur la terrasse qu’ils se sont fait aménager en prolongement de leur pièce de séjour.

À l’heure dite, j’appuie sur la sonnette, me tenant bien droit, le cœur en tachycardie, et c’est Agnès qui m’ouvre, chemisier blanc et pantalon de velours marron.

— Salut ! dit-elle.

Elle se hausse sur la pointe des pieds pour m’embrasser sur la joue.

— Entre !

La baie vitrée est ouverte sur le jardin. Il fait beau, ils ont déjeuné dehors, et je reconnais la silhouette de sa mère occupée à finir de débarrasser la table.

— Maman, William, fait-elle en guise de présentations, et comme si elle n’avait pas envie de s’attarder.

— On se connaît, dis-je à sa mère, j’ai dormi une nuit chez vous, en Espagne.

— Eh bien, je ne me souviens pas de vous. Vous étiez avec toute la bande des motards ?

— Oui, voilà.

— Bon, qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ? nous interrompt Agnès, manifestement agacée.

— Je ne sais pas. Si tu veux, je suis venu en voiture, on peut aller se promener.

— Vous ne conduisez pas comme un fou, au moins ?

Sa mère a une façon très directe de se manifester, et cela me la rend plutôt sympathique. Cependant, je n’ai pas vraiment le temps de la rassurer.

— Oh, maman !

— Tu ne crois tout de même pas que je vais te laisser filer avec n’importe qui ?

— Ce n’est pas n’importe qui, c’est un ami d’Aurélien.

— Je vous promets de conduire très prudemment, dis-je.

Elle se tait, me regarde comme si je complotais d’enlever sa fille, puis disparaît dans ce qui doit être la cuisine.

— Soyez de retour avant 5 heures, lance-t-elle alors, je ne veux pas que ma fille soit sur les routes un dimanche soir.

— C’est ça, c’est ça… Bon, à tout à l’heure, maman.

Il me semble que ce premier dimanche nous descendons vers Chatou et que nous mangeons des éclairs au café sur les berges de la Seine, assis sur la banquette avant de l’Ariane 4 dont nous avons ouvert les portières pour profiter de l’après-midi. Cette Ariane, je ne me souviens plus qui nous en a fait cadeau, mais nous nous la partageons, avec Frédéric et Nicolas. C’est une grosse Simca bleu pâle au design américain, flanquée

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