Le bûcher de Moorea by Guirao Patrice

Auteur:Guirao, Patrice [Guirao, Patrice]
La langue: fra
Format: epub
Tags: policier
Éditeur: Robert Laffont
Publié: 2019-06-15T00:00:00+00:00

Son panier en pandanus à l’épaule, flanqué de deux longues anses, Raymond avançait d’un pas rapide, bien qu’il marchât pieds nus. Comme à son habitude quand il descendait en ville ou se rendait à Moorea, il avait mis sa chemisette beige et son short kaki. Ses cheveux gris coupés court, huilés au monoï, dépassaient légèrement de son vieux chapeau de nï‘au. Depuis le samedi soir précédent, il ne cessait de s’interroger. Il voulait trouver le sens de cette rencontre. Comprendre. Il n’ignorait pas que la frontière entre le monde du vivant et des autres – les mondes de l’inconnu – est floue et mal définie. Mais cet homme s’était pendu. Il était mort. Les journaux en avaient parlé. Le même visage. Les mêmes traits. Que faisait son enveloppe charnelle parmi les vivants ? Que voulait-il exactement ? Qu’était-il venu chercher ici-bas ? Pourquoi était-il sur son chemin ? Ressentir, percevoir, discerner, appréhender l’espace des disparus est une chose, mais jamais il n’avait été témoin d’une manifestation irréfutable de l’existence après la mort.

Sauf si l’homme qui se faisait appeler Nael n’était pas revenu de chez les morts. Parce qu’il n’y serait jamais allé. Raymond pouvait-il ne se fier qu’à sa mémoire ? Les faits remontaient à plusieurs mois. Était-il possible que cet homme ait juste fait croire à son décès ? Il fallait que Lilith le rencontre. Elle saurait lui dire s’ils étaient en présence d’une supercherie ou d’une monstruosité. Les forces du mal seraient-elles descendues au paradis ? Ce mort-vivant venu de nulle part et cet abominable massacre à Moorea auraient-ils un dessein commun ? Préparer les hommes à un ordre nouveau, par exemple ?

Raymond était venu plusieurs fois chez Mama Fati faire des offrandes à Nael, car il faut toujours faire des offrandes aux morts. Il l’avait attendu à plusieurs reprises, en vain. Et chaque fois qu’il avait pu le rencontrer, il avait tout fait pour le convaincre de le suivre à Moorea. Lilith avait un mana plus puissant que le sien. Il s’en était aperçu depuis longtemps. Depuis qu’enfant elle lui parlait de la vie des coquillages aussi bien que si elle avait été un jour une étoile de mer. Elle savait sans apprendre. Tout comme il existe un instinct de survie, il existe un instinct du savoir. Plus vaste que l’inné. Elle appréhendait la nature des plantes, des pierres et des hommes bien mieux que lui. C’est pour cela que ses photos montraient toujours une vérité dans la vérité. Une faille dans le réel. Elle voyait le ciel en quatre dimensions et pouvait dire le temps nécessaire pour atteindre chacune des étoiles. D’où que vienne cet homme, elle le saurait. Tüpäpa’u ou charlatan. Mais tant que la question n’était pas tranchée, Nael l’inquiétait.

Quand Raymond arriva à la pension, Nael l’attendait assis sous le toit de tôle. Ma Fati passa la tête par l’auvent de la cuisine et le taquina :

— Hey, Raymond ! Je vois plus que toi à la pension ! T’es amoureux ou quoi ? Si tu veux qu’on se marie, autant me le dire, plutôt que de me tourner autour comme ça.

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