L'aube sera grandiose by Anne-Laure Bondoux

Auteur:Anne-Laure Bondoux [Bondoux, Anne-Laure]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Jeunesse
ISBN: 9782075049405
Éditeur: Gallimard
Publié: 2017-08-22T22:00:00+00:00

Avec le printemps, les affiches de la campagne électorale ont éclos sur les murs de la ville. On y voyait la tête de Georges Marchais, le candidat « anti-Giscard », celle d’Huguette Bouchardeau qui se disait « pour l’alternative », de Jacques Chirac, « le candidat qu’il nous faut », et celle de François Mitterrand, « La force tranquille ».

Au lycée, Patrick Vivier-Lagel revendiquait haut et fort son soutien à un petit parti d’extrême gauche appelé Lutte ouvrière. Dans un joyeux fatras idéologique, notre ténébreux don Juan exhibait des symboles au revers de sa veste en velours : des badges représentant la faucille et le marteau communistes, le poing levé du Black Power, la tête de Bob Marley, le A de l’anarchie, aussi bien que des épingles à nourrice punks. Rebelle, il se baladait dans les couloirs, un keffieh autour du cou, et toutes les filles se retournaient sur son passage. Surtout moi. J’adorais sa nonchalance, sa dégaine, l’air sérieux et concerné qu’il prenait lorsqu’il distribuait des tracts à la sortie des cours.

– Votez Laguiller ! Ne vous laissez plus faire ! Une étincelle peut allumer un grand feu ! Votez Arlette ! lançait-il à ses camarades qui, pour la plupart, n’étaient pas encore en âge de voter.

Il scandait des slogans contre l’injustice de la classe dominante et contre le patronat. Il s’enflammait en faveur des

travailleurs exploités et des peuples opprimés. Les yeux rivés sur sa jolie figure, mes copines et moi l’écoutions passionnément.

– Qu’est-ce qu’il parle bien, soupirait Anne-Charlotte.

– Tu crois qu’il embrasse aussi bien qu’il parle ? demandait Virginie.

Conquises, nous avions décidé d’adopter l’essentiel de son lexique, et sans trop savoir d’où cela sortait, nous parlions de « révolution », de « lutte des classes », et des « petits-

bourgeois » qu’il fallait détester.

Après des vacances passées à Paris chez une de ses tantes, Flo nous avait rapporté plusieurs exemplaires du Petit Livre rouge de Mao, trouvé chez un bouquiniste.

– Tout est là ! avait-elle dit, excitée comme une puce. Lisez, vous allez voir !

Nous avions parcouru le livre révolutionnaire, truffé de phrases pas toujours limpides, y reconnaissant néanmoins le ton lyrique de Patrick Vivier-Lagel. Ce petit livre rouge était devenu notre totem.

Un soir, à la maison, alors que les élections approchaient, j’ai soudain lancé à ma mère :

– J’espère que tu vas voter contre le patronat !

Rose-Aimée, qui écoutait la radio en épluchant les légumes sur la table de la cuisine, m’a regardée avec un drôle d’air.

– Tu t’intéresses à la politique, toi, maintenant ?

– Ben oui, ai-je dit. Et alors ? C’est mal ?

– Non, a souri ma mère. Je te trouve seulement un peu gonflée de me dire pour qui je dois voter, c’est tout.

– Tu ne vas quand même pas voter pour le pouvoir du Capital ? me suis-je étranglée. Tu es au chômage ! Tu vois bien qu’on t’exploite, non ?

Rose-Aimée a lâché la carotte et l’économe. Elle s’est calée contre le dossier de sa chaise, et elle m’a demandé de continuer.

– Ben, c’est simple, ai-je dit.

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