L'arrache coeur by Boris Vian

L'arrache coeur by Boris Vian

Auteur:Boris Vian [Vian, Boris]
La langue: fra
Format: epub
Tags: littérature française
Éditeur: Bibliothèque de NicoCergy alias Poponne
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


XVI

27 juinet (encore après).

Le pas pesant sur l’escalier de bois les tira de leur torpeur. Jacquemort se ressaisit rapidement et se désenchevêtra de la fille mi-partie sur la paillasse, mi-partie sur le sol.

– C’est lui…, souffla-t-il.

– Il ne viendra pas ici, murmura-t-elle seulement. Il va dans sa chambre.

Elle remua un peu.

– Lâche ça ! protesta Jacquemort. Je n’en peux plus. Elle obéit.

– Vous reviendrez encore me psy… choser, dit-elle la voix rauque. J’aime ça. Ça fait du bien.

– Oui, oui, dit Jacquemort, plus excité du tout.

Il fallait quand même dix minutes pour que l’envie revienne. Les femmes n’ont aucune délicatesse.

Les pas du patron, tout proches, ébranlèrent le couloir. La porte de sa chambre s’ouvrit en grinçant et claqua. Jacquemort à genoux, prêta l’oreille. À quatre pattes, il se rapprocha doucement du mur. Soudain, un petit rayon de lumière lui perça l’œil. Un nœud du bois devait manquer dans la cloison. Progressant vers la source du rayon qu’il suivit avec la main, il trouva aussitôt le trou dans la planche et y colla son œil, non sans une légère hésitation ; il recula aussitôt. Il avait l’impression d’être vu aussi bien qu’il voyait. Mais il se rassura par la raison et se remit à son poste d’observation.

Le lit du maréchal-ferrant se trouvait juste en dessous. Un lit bas, chose étrange, et démuni de couvertures. Un matelas et un drap bien tendu, à l’exclusion de l’immuable édredon mamelu à peau rouge que l’on trouvait sur tous les lits du pays, en constituaient l’essentiel.

Accommodant sur le reste de la chambre, il vit d’abord le maréchal torse nu et de dos. Il paraissait affairé à quelque tâche délicate. On ne distinguait pas ses mains. Puis elles s’élevèrent et firent le geste de tapoter quelque chose sur quelqu’un. Elles revinrent à sa propre ceinture et il défit la boucle, qui céda ; son pantalon tomba, découvrant ses jambes énormes et noueuses, velues comme des jambes de palmier. Il avait un caleçon de coton sale qui chut à son tour. Jacquemort entendait un murmure. Mais il ne pouvait à la fois voir et prêter l’oreille.

Le forgeron dégagea ses pieds nus du caleçon et du pantalon, et, les bras ballants, se détourna et marcha vers le lit. Il s’assit. Encore une fois, Jacquemort avait eu un mouvement de recul en le voyant approcher. Mais n’y tenant plus, il recolla immédiatement son œil à l’ouverture. Il ne bougea même pas en sentant Nëzrouge s’approcher de lui et se dit qu’elle allait prendre un bon coup de pied dans la poire si elle le faisait suer. Et puis il ne se dit plus rien car son cœur s’arrêtait. Devant lui, il voyait maintenant ce que le dos du forgeron lui avait caché jusqu’ici. C’était, vêtu d’une robe de piqué blanc, un merveilleux androïde de bronze et d’acier, ciselé à l’image de Clémentine, et qui marchait vers le lit d’un pas irréel. La lueur de la lampe, invisible pour Jacquemort, tirait des reflets de ses traits délicats, et le métal luisant des mains, poli jusqu’à la douceur du satin, scintillait comme un bijou sans prix.



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