L'Archipel des Solovki by Zakhar Prilepine

Auteur:Zakhar Prilepine [Prilepine, Zakhar]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Éditions Actes Sud
Publié: 2017-09-18T17:50:29+00:00

— “Sauvez-moi ou ne me sauvez pas / Je ne tiens pas à la vie / Amenez-moi plutôt celui que j’adore…”, avait chanté Galia à voix basse, d’un air malicieux, en secouant sa jupe et en frottant ses genoux.

Ce jour-là, elle était comme apprivoisée.

Artiom ne dit pas un seul mot, il ne fit que la regarder.

Il ne pouvait même pas concevoir qu’elle fût amoureuse de lui, pourquoi le serait-elle ? Mais il s’en fichait : après tout, si elle était amoureuse de quelqu’un d’autre, c’était quand même ici qu’elle chantait. Pour lui.

Et si elle ne faisait que chanter, Dieu du ciel…

— Ici, même si tout a brûlé, il y avait une église, tu comprends ? dit Galia.

Artiom acquiesça d’un signe de tête.

— Tu comprends tout, affirma-t-elle.

La lumière était voilée, poussiéreuse, il y avait tout un bric-à-brac qui sentait le brûlé, et Galia regardait fixement Artiom comme si elle s’apprêtait à lui faire quitter ce lieu et à l’emmener chez elle.

Les murs avaient conservé leurs fresques : le Christ regardait de différents endroits tantôt d’un œil, tantôt de l’autre, on voyait des barbes bouclées, on apercevait très distinctement le talon rose d’un tout petit enfant.

— Il y a des hommes chez qui les pensées sont des désirs, et les désirs, des pensées, dit Galia. Chez toi, il n’y a ni désirs ni pensées. Tes pensées sont tes actes. Mais tes actes sont le fruit du hasard. C’est le vent qui te pousse. Tu crois qu’il t’emportera loin, mais si c’est dans un lieu qui ne te convient pas ?

Artiom haussa les épaules en souriant légèrement.

— Ta faculté de compréhension et toi, ce sont deux choses différentes, reprit Galia. Tu ne fais aucun effort et d’habitude, tu ne sais pas ce que tu comprends. Mais si on te pose des questions, tu réponds, et on se rend soudain compte qu’une fois de plus, tu as tout compris.

Artiom sourit à nouveau. Tout ce qu’elle disait lui était extrêmement agréable ; seulement, il prêtait parfois l’oreille au cas où quelqu’un serait en train de monter au grenier.

— Comment, toi qui es si joyeux, t’es-tu retrouvé ici ?

C’est à elle-même, plutôt qu’à lui, qu’elle posa cette question et Artiom n’y répondit pas, même s’il pensait que beaucoup d’autres s’étaient retrouvés ici…

— Ta place, continua-t-elle, aurait été au bord de la mer, tu aurais plongé et les demoiselles auraient eu peur que tu te noies.

“C’est ici que je plonge”, eut-il envie de répondre, mais il n’en fit rien.

— Seulement ton caractère joyeux n’a que faire de ta faculté de compréhension, c’est pourquoi tu ne penses à rien, conclut Galia en le regardant encore fixement. Je n’arrive toujours pas à décider s’il faut que je t’explique ne serait-ce que quelques petites choses, ou que je te laisse dans ta merveilleuse inconscience.

Artiom la regarda en se mordant légèrement la lèvre. Une goutte de sueur coula dans son cou.

Elle plissa soudain les paupières et éternua. Elle éclata de rire tout de suite après.

Il prêta l’oreille une fois de plus pour vérifier que personne ne venait.

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