L'île by Sigríður Hagalín Björnsdóttir

L'île by Sigríður Hagalín Björnsdóttir

Auteur:Sigríður Hagalín Björnsdóttir [Björnsdóttir, Sigríður Hagalín]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782847208153
Éditeur: Gaïa Éditions
Publié: 2018-02-06T23:00:00+00:00


MARÍA

María s’essuie les mains, elle a terminé sa besogne. Elle a le dos en feu, ses cuisses sont raidies par l’effort, mais elle est satisfaite. Bien qu’elle ait de la terre jusque dans les ­cheveux, elle rayonne.

Regarde, Elías, s’écrie-t-elle. Son fils lève les yeux de son livre, assis en T-shirt sur le balcon, un verre d’eau posé à côté de lui, comme un petit prince sur son bateau. Il plisse les yeux vers le jardin.

Ici, nous aurons des pommes de terre et là, il y aura des rutabagas, des radis et des choux verts, annonce sa mère en lui montrant les carrés. Nous planterons aussi du chou blanc et du chou rouge ici. Qu’est-ce que tu en dis ?

Le jardin plaît à Elías, mais il n’a pas la patience ­d’attendre la récolte. Maman, j’ai faim, dit-il, la joie de María laisse place à une angoisse familière, elle prend garde à ne pas piétiner les plants de pommes de terre et les semis d’avoine. J’arrive, mon chéri, attends que j’aie fini de nettoyer ma pelle.

Elle monte par l’escalier, l’ascenseur ne fonctionne plus et personne ne semble capable de le réparer. Elle frappe à la porte de sa voisine, bonjour ma chère Þórný, je vais faire à manger pour les enfants, tu veux prendre un morceau avec nous ?

Merci de te soucier de moi, ma petite, mais mon cousin va passer me voir tout à l’heure pour m’emmener quelque part, il est arrivé en ville ce matin.

María sourit. Elle peine à dissimuler son soulagement, la vieille dame ne mange pas grand-chose, mais chaque ­bouchée compte.

Elle se lave les mains et met la bouillie à cuire. Elle ose à peine utiliser les pommes de terre, pense avec tendresse aux semences qui germent dans la buanderie, à ces tiges vertes et puissantes qui montent vers le ciel grâce à Dieu et à ce miracle qu’est l’agriculture.

Elle fait son signe de croix, elle a honte, la foi de son enfance revient l’envahir sans crier gare, elle se rappelle les éclats du soleil sur les vitraux, la douce odeur d’humidité dans le confessionnal, celle de la cire et de l’encens, la voix de tonnerre du père Miguel, je vous salue Marie pleine de grâce. Le catholicisme est une des choses qu’elle a laissées derrière elle quand elle est venue s’installer en Islande, de même que le mépris rampant pour les femmes, boutonne ton chemisier, ma fille, et les cris moqueurs ou aguicheurs des hommes dans la rue, les gens de chez elle avaient beau qualifier ces cris de compliments, chaque fois qu’elle les entendait, elle avait l’impression qu’on lui balançait des crottes de chien à la figure.

Aujourd’hui, elle vit sur ce rocher perdu aux confins de l’Atlantique Nord, dans cet appartement de banlieue, dans une ville qui est peut-être la dernière ville du monde, elle remue la bouillie qui cuit dans la casserole et compte ses pommes de terre, trois pour Elías, quatre pour Margrét et deux pour elle, comme ça, elle en aura assez pour tenir jusqu’à la fin de la semaine.



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