L’Honneur de Zakarya by Isabelle Pandazopoulos

Auteur:Isabelle Pandazopoulos [Pandazopoulos, Isabelle]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Gallimard Jeunesse
Publié: 2022-05-20T00:00:00+00:00

C’est le moment du film que tu préfères.

Cette nuit que vous avez passée tous les deux dans un hall d’hôpital, peut-être pas la nuit mais au moins quelques heures, vous ne vous êtes rien dit, ou si peu, et ça continue de t’étonner alors qu’il te semble lui avoir confié dès les premiers instants de cette nuit-là ta vie entière, ça veut dire ton âme et ton corps et tant pis pour ceux que ça fait rire. Le savait-elle ? Le sentait-elle ? Elle n’a pas posé de questions, pas demandé pourquoi ni comment tu t’étais retrouvé là, elle a dit qu’elle avait pris le même taxi, le Pakistanais, qui se trouvait au même endroit, devant l’hospice des vieillards de l’avenue Jean-Jaurès, il y avait encore un peu de sang sur la banquette arrière, vous avez parlé de cet ange protecteur qui vous avait réunis sans poser de questions, qui lui aussi vous avait pris pour des parents, ça vous avait fait rire, on a donc l’air si vieux ? Vous aviez échangé des regards complices.

Le temps s’étirait. Vous aviez faim. Mais vous n’osiez vous éloigner de la chambre de Sékou. Aïssatou avait fini par poser sa tête sur ton épaule. D’y penser te fait encore bander. Tu as pris sa main, elle te l’a laissée, vous vous êtes assoupis – tu n’arrives pas à y croire, il te semble impossible que tu aies réussi à dormir, ne serait-ce que quelques secondes, assis sur un mauvais siège en plastique, avec cette fille sublime abandonnée contre toi – et puis sa tête a glissé, elle s’est mise en boule, elle a demandé, je peux ? et sans attendre la réponse, elle a posé sa tête sur tes cuisses, avec ta main toujours dans la sienne, ta main humide, chaude, brûlante mais qui ne tremblait pas. De l’autre et du bout des doigts, tu as dessiné le contour de son visage, son nez, son front bombé, et dans ton souvenir tu y reviens sans cesse, à ses pommettes rondes et lisses, ses cils courbés, et quand sa bouche s’est entrouverte, un peu, son souffle qui s’est accéléré, le tien aussi, tu bandes tellement que tu as mal, que tu as honte avec ton sexe qu’elle va sentir, à force, mais qu’est-ce que tu vas faire, qu’est-ce que tu peux dire, tu n’es même pas sûr de pouvoir te lever, marcher droit, quel idiot, tu devrais arrêter, mais elle relève la tête, tend ses lèvres vers toi, et doucement tu te penches et doucement tu t’approches et poses tes lèvres sur les siennes, les effleures seulement, tu t’écartes, la regardes, elle a les yeux fermés, offerte, si belle que tu en as le souffle coupé, tu ne veux pas que ça s’arrête, tu ne peux pas continuer, tu vas tout abîmer, tu le sais déjà, tu ne pourras jamais l’aimer comme il faudrait, toi qui n’es que la moitié d’un. Mais à ce moment-là, tu ne le sais pas encore, tu te crois

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