La valse des éphémères by Virginie Lloyd

Auteur:Virginie Lloyd [Lloyd, Virginie]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Policier
Publié: 2020-09-15T22:00:00+00:00

Chapitre 18

Ruche

Quelques semaines plus tard, prison de la Petite Roquette

Alexander emprunte l’allée qui mène les visiteurs à la tour centrale. Sur le sol, quelques flaques d’eau sont en train de mourir, les voilà lasses de ne rien refléter hormis ces interminables murs cendrés. Le vent s’infiltre dans le manteau d’Alexander comme un fou qui voudrait se libérer. Il ne souffle pas, il murmure. Alexander lève les yeux sur les bâtiments cellulaires en espérant y apercevoir Eliott. Les fenêtres qui donnent toutes sur la cour sont sans barreaux, sans âme, on y aperçoit parfois une ombre, une main qui salue dans le vide. Alexander s’approche de la tour centrale, un cercle autour duquel sont reliés six bâtiments. Un insecte géant à six pattes. L’homme a créé une nouvelle espèce capable d’enfermer sa propre progéniture. Le regard impuissant et nourri de colère, Alexander monte les escaliers. Le voilà entouré de bourgeois, de bienfaiteurs et de curieux qui semblent vouloir ignorer ce qui se passe entre ces murs.

Le directeur invite les visiteurs à prendre place dans la chapelle. Le lieu est immense et lumineux. Le plafond en voûte est d’une beauté éclatante, on croirait y voir les cieux. Une imposante croix en bois nous rappelle que c’est le Seigneur qui nous accueille ici. Les pas des visiteurs qui s’installent font craquer le plancher fraîchement ciré pour l’occasion. Alexander lève la tête vers la salle qui accueille les jeunes détenus. Il en avait entendu parler, il se l’était imaginée, il pensait être prêt. Mais le voilà dépité par le terrible spectacle qui s’offre à lui.

Dans les journaux complaisants et les rapports pénitentiaires, on prend bien garde de ne pas évoquer les coins obscurs de cet enfer. On respecte la pudeur du Parisien qui ne peut imaginer qu’en plein cœur de sa ville se trouve pareille horreur. On préserve les foyers de cette pourriture qui pourrait contaminer les bonnes familles.

Alexander est pris de nausée. Dans la salle de la chapelle, 276 blocs cellulaires lui font face. 276 mini cellules occupées par des enfants. Évidemment, elles auront été remplies avant l’arrivée des visiteurs. En moins de trois minutes. Le système est parfaitement rodé. Les enfants savent ce qu’ils doivent faire. Ils sont cagoulés, mais se déplacer les yeux fermés est devenu une seconde nature. Ils connaissent et reconnaissent les planches du parquet qui craquent et celles qui restent silencieuses. Leurs sabots ne cognent pas sur le rebord des marches, ils en connaissent parfaitement la hauteur. Ils savent glisser leurs mains sur ces longues rampes qui longent les allées des box. Ils savent se loger dans leur cellule et ne sursautent plus quand la porte d’à côté se ferme automatiquement afin de les séparer de leurs voisins. Ils savent attendre sans bouger, en silence. Ils savent qu’ils ne pourront ôter leur cagoule qu’au son de la cloche. Ils n’auront pas peur de cette lumière qui viendra leur fouetter les yeux, une fois la cagoule enlevée. Ils ne se plaindront pas, au contraire. Ils béniront le Seigneur qui leur permet d’être là.

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