La nuit soupire quand elle s'arrête by Frédérick Durand

Auteur:Frédérick Durand [Durand, Frédérick]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fiction
ISBN: 9782923864662
Éditeur: Les Six Brumes
Publié: 2020-05-12T04:00:00+00:00

Chapitre 10

Même en Enfer, dit-on, il faut préparer les supplices

Je n’imaginais pas Marthe ainsi. Toi, qu’en penses-tu ? C’est décevant, non ? J’avais cru qu’elle serait grande et grosse, certes, quant au reste… (Devrais-je dire aux restes, tant l’ensemble de sa personne me paraît impropre à la consommation ou à la fréquentation ? Elle ne me donne envie ni d’un festin cannibale ni d’une amitié.) À quoi faut-il attribuer mes réticences ? À la robe jaune qui moule son corps de Junon fanée ? Aux aspérités déplaisantes de son nez en bec d’aigle ? À ses cheveux très longs qui s’apparentent à de l’étoupe ? Voir pendre ce sinistre cordage derrière son dos doit réfréner les ardeurs des clients.

Son sourire se veut chaleureux, mais je ne peux m’empêcher de penser qu’il semble en voie d’extinction. Quant à ses boucles d’oreilles vertes, on souhaiterait les lui arracher, tant elles agacent la vue. Elle dégage une odeur tenace et désagréable, celle d’un plat faisandé, aigre.

— Je m’appelle Marthe, dit-elle d’une voix trop aiguë en me tendant la main. Je suppose que tu es Ariane.

Deux filles l’accompagnent, portant des valises vieillottes, aux couleurs passées – Marthe, bien sûr, n’en traîne aucune. Elles se déplacent autour de leur patronne, orbitant telles d’insignifiantes planètes. Elles sont jolies, au moins. J’attribuerais à la première, une blonde caricaturale aux lèvres très maquillées, des emplois d’espionne ou de traîtresse. Ses traits un peu froids et vulgaires plairont à certains. Sa façon de mâcher sans cesse un chewing-gum imaginaire lui enlève beaucoup de classe, mais elle promet d’autres plaisirs, plus rudes. Elle porte une minijupe de cuir noir et une veste moulante fermée jusqu’au cou par une glissière, qui met sa poitrine en valeur. Elle a eu le bon goût de leur adjoindre des cuissardes lacées en vinyle.

La deuxième employée est une jolie brunette, pimpante et joyeuse. Elle doit incarner la gentille fille de service, celle qui se vautre dans le vice sans en avoir l’air et qui ressort des pires passes avec un sourire ingénu. Elle formera un charmant duo avec Carmelia. Sa tenue vestimentaire, plus quelconque, se compose d’un pantalon noir et d’un chemisier rouge.

J’ai à peine répondu à Marthe qu’Adèle surgit, un immense sourire aux lèvres. J’en suis confuse. Jamais je n’ai vu Adèle radieuse à ce point. Elle aime donc tant cette grosse entremetteuse malodorante ? La maquerelle a été morose et bizarre, ces derniers jours. Elle a choisi l’instabilité comme mode de vie, elle devenait distante et étrange. Je l’ai même surprise en train de soliloquer, de dire des phrases du genre : « Les animaux sauvages sont dans la chambre. Il y a des bruits dans le couloir, il y en aura d’autres. »

Elle a paru juxtaposer deux univers incompatibles dans sa tête quand je l’ai interrogée. En haussant les épaules, elle m’a répondu qu’elle devait s’être assoupie, qu’elle parlait dans son sommeil comme une somnambule. Je me suis fâchée. Sa réaction a été d’allumer un cigare… Au moins, elle a conservé sa coiffure cornue, mais je doute que ce soit pour me combler.

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