La maison poussière by Péronnet Valérie

Auteur:Péronnet, Valérie [Péronnet, Valérie]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Marabout
Publié: 2021-12-01T07:02:05+00:00

J’ai passé une sale nuit, après la visite de Superman. J’ai commencé à penser à lui, beaucoup. Lui et ses yeux verts. Lui et notre rencontre. Lui et notre bonheur. Lui et notre vie d’avant. Lui, lui, lui, tout le temps, partout.

Je ne voulais pas. Je ne veux plus. Qu’ils n’existent plus, jamais. Que tout ça ne soit pas arrivé. Je ne vois pas comment la vie peut être possible autrement. Le seul moyen, c’est qu’il disparaisse, que tout disparaisse, comme eux. Comme lui. Comme moi.

Je suis là pour ça. Disparaître complètement. Et renaître, peut-être. Ça commence à marcher, on dirait. Je reprends vie petit à petit. Je prends soin d’elle, et elle prend soin de moi. Maintenant que j’ai compris, je fais tout mon possible pour ne pas l’abîmer, ni la décevoir. Pour aller dans son sens, respecter son âme. Au début, je croyais que c’était seulement un gros chantier qui allait tellement m’accaparer et m’épuiser qu’il ne laisserait aucune place à quoi que ce soit d’autre. C’était exactement ce que je voulais : être ailleurs, envahie par un truc sans importance, qui ne laisse aucune place à autre chose.

Je l’ai attaquée à la hussarde. Je n’y suis pas allée de main morte. Elle s’est laissé faire, elle m’a laissée faire. Pas une écharde, pas un bleu, pas une coupure, rien. Pas même un léger pincement dans une porte, un petit coinçage dans une charnière, elle a été d’une docilité exemplaire. Je ne m’en rendais pas compte, et pourtant je me suis conduite comme une brute. Une idiote. Une machine.

C’est quand j’ai trouvé ces photos, dans la chambre jaune, que j’ai réalisé que j’étais en train de la martyriser. Ou plutôt que, peut-être, elle méritait quelques égards. Un minimum de considération. Comprendre sa vie, connaître son histoire et découvrir quelques bribes de cette Dumontine – c’est quand même grâce à elle si je suis ici –, ça m’intéressait moyennement. J’ai déjà assez à faire avec mon histoire à moi. Mais, au moins, faire preuve d’un peu de douceur et de compassion.

J’en étais à peu près là quand j’ai pété les plombs. Bêtement, pour une histoire de date alors que j’avais réussi à oublier, complètement, ce putain de calendrier. J’ai dévissé grave, et d’un coup. J’ai été happée vers le fond, prise par le froid et l’obscurité, dans la spirale, exactement comme les jours où tout est arrivé. Panique totale. Et en même temps, soulagement de pouvoir me laisser sombrer cette fois-ci, sans que personne ne soit là pour me rattraper.

Je ne voulais pas qu’on me rattrape. Je voulais seulement les rejoindre et que tout soit fini.

Mais elle m’a rattrapée. Je ne sais pas de quelle manière ni pourquoi, je ne sais même pas comment c’est possible. C’est complètement dingue de croire une chose pareille, pourtant c’est la vérité : c’est elle qui m’a rattrapée, et personne d’autre. Je l’ai senti en décollant la tapisserie. Une espèce de picotement qui traversait mes ongles et mes doigts. Comme si ses murs me distillaient un fluide, une énergie, par capillarité.

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