La maison atlantique by Philippe Besson

Auteur:Philippe Besson
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Julliard
Publié: 2013-01-19T05:00:00+00:00

Un problème sur un chantier dont il était maître d'œuvre l'obligeait à regagner Paris. Une urgence, comme on dit. On réquisitionnait son expertise. Il n'était pourtant pas le seul responsable. Seulement le plus rapide à rapatrier sur les lieux de l'avarie.

Je l'ai vu partir un matin : il s'engouffrait dans la voiture tandis que je sortais relever le courrier dans la boîte aux lettres. Cécile s'est installée au volant. Devant ma surprise, elle a juste dit : « Je l'emmène au train. » Expression qui m'a renvoyé instantanément quelques années plus tôt quand ma mère m'accompagnait le samedi matin, afin que je retrouve mon père pour son week-end de garde alternée, dans ce temps très court qu'a duré leur divorce. Je dis : « très court » puisqu'elle s'est tuée très vite après leur séparation.

Cécile a ajouté : « Mais moi, je reviens. » Et j'ai entendu : « Le terrain va être dégagé. Il ne restera que ton père et moi, tout ne dépendra plus que de nous deux. Et ne t'avise pas de te mettre entre nos pattes, s'il te plaît. On s'est débarrassés du principal obstacle, ce n'est sûrement pas pour se laisser entraver par un petit con. » Ce n'était évidemment pas le sens de sa remarque. Loin de là (je l'ai su plus tard). Cependant, c'est très exactement l'effet qu'elle a produit sur moi.

La certitude de leur liaison s'est alors définitivement installée dans mon esprit. Et son caractère infâme m'a arraché une moue de dégoût. Je m'en veux encore de ce dégoût car, au fond, il n'y avait guère d'infamie dans tout cela et, après tout, deux adultes consentants avaient bien le droit de faire ce qu'ils voulaient. Mais bon, il y a des sentiments qui ne se contrôlent pas. Des répugnances qu'on ne domine pas. Et des animosités qu'on se plaît à nourrir.

Lorsque la voiture a bifurqué au bout de l'allée pour emprunter la route qui longe la ligne de chemin de fer, j'ai eu la sensation qu'une mécanique inéluctable s'enclenchait. Pas une mécanique folle et terrible et dévastatrice. Non. Ça, je n'en ai pas eu la prescience, je l'avoue. Néanmoins, il m'a véritablement semblé qu'un engrenage venait de s'amorcer et que personne ne songerait à l'arrêter. Ou alors trop tard.

Lorsque je me suis retourné pour rentrer dans la maison, mon père se tenait sur le pas de la porte. Sa présence a interrompu mon mouvement une fraction de seconde, à la manière d'une décharge électrique. Et j'ai repris mes esprits. Toutefois, il a eu le temps d'apercevoir ma tétanie. Sur son visage s'est dessiné un sourire léger, où j'ai cru discerner du dédain. Je suppose qu'il savourait par avance les instants doux que lui promettait le départ inopiné de Raphaël. Mais j'ai voulu y voir une victoire sur moi.

Une victoire qui exigerait une revanche.

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