La conjuration des anges by Igor Sakhnovski

Auteur:Igor Sakhnovski [Sakhnovski, Igor]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature russe
Publié: 2015-05-28T22:00:00+00:00

Dans la fraîcheur de cette matinée d’avril, toujours plongé dans un état onirique et imbibé de la substance guerrière et toxique du « système Dorothy », je repassais en revue les motifs nocturnes, assis sur le siège gauche de la voiture et essayant de garder les yeux ouverts, tandis que l’empoisonneuse embaumant la fraîcheur nous conduisait Dieu sait où. Elle parvenait à tenir la route tout en racontant une histoire bouleversante qu’à moitié endormi je pris au début pour le conte de Barbe bleue. Je ne prêtai vraiment l’oreille que vers la fin :

« … Tu comprends, il l’aimait plus que toutes ses femmes, plus que toutes les autres ! Même lorsqu’il décida de la châtier. Bien sûr, il était en fureur. Mais de toute façon, il s’imaginait bien, il ne pouvait pas ne pas s’imaginer l’horreur de se faire trancher la tête. Il faut dire qu’il existait des bourreaux maladroits qui ne réussissaient pas la décollation du premier coup, qui déchiquetaient leur victime… Donc, ce dégénéré fit venir un bourreau particulièrement expérimenté de France, spécialement pour sa femme. Un virtuose, si je puis dire. Pour être honnête, je pense que lorsqu’elle écrivit la lettre à son mari de la prison où elle était incarcérée, elle avait déjà compris qu’elle était condamnée…

— Qui ? demandai-je bêtement.

— Anne. Qui veux-tu que ce soit ?

— Et lui, qui est-ce ?

— Mais Henri VIII !… Mon pauvre, tu manques vraiment de sommeil. C’est pour elle qu’il avait divorcé de Catherine d’Aragon. Tu connais l’histoire ?

— Oui, je la connais. C’est la sœur benjamine de Jeanne la Folle.

— Exactement, tout le monde à cette époque avait son grain de folie. »

Moins d’une heure après, nous étions à l’entrée de Hever Castle, la maison d’Anne Boleyn, où cette dernière avait vu le jour cinq cents ans plus tôt, où elle avait été élevée et où elle était devenue l’amante du roi. Le minuscule château de Hever, encerclé de douves médiévales, était pris d’assaut par un bataillon de Japonais au regard fureteur, tous armés d’appareils photo. De gros poissons rouges nageaient dans le fossé peu profond. Des musiciens en habit et plastron envahirent la pelouse d’un vert et d’un lissé étonnants, pareils à des grillons noirs et blancs, puis ils s’assirent et se mirent à accorder leurs instruments.

À l’intérieur d’une courette se dressait un petit puits adorable qu’on n’aurait voulu quitter pour rien au monde. Nous suivîmes des passages étroits menant aux pièces d’habitation. Définitivement réveillé, je ne pus retenir un cri intérieur en apercevant le livre d’heures d’une fillette prénommée Anne, dont la marge était noircie d’inscriptions : une écriture d’enfant ronde, appliquée, quelques mots de prière. Je fus encore plus abasourdi par la lettre écrite de la même main dans la Tour à Londres, treize jours avant son châtiment et dont une copie était curieusement accrochée au mur de la chambre à coucher, en face du lit à baldaquin : c’est ici que le monarque volage passa probablement une nuit lors de son séjour au château de Hever.

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